Un oui sans réserves

Jack Lang


Entretien avec Jack Lang, député PS du Pas-de-Calais, paru dans La Nouvelle République des Pyrénées daté du 2 octobre 2004
Propos recueillis par Jean-Louis Toulouze

 

Dans une récente interview au « Monde », Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, observant la situation interne du PS, proposait de reporter la consultation des militants sur le projet de Constitution européenne. Qu’en pensez-vous ?
Jean Glavany n’a pas tort. Moi-même je me suis battu pour que cette consultation interne soit reportée à une date plus juste : à quelques semaines du référendum. Il est en effet un peu étrange que l’on demande aux militants socialistes de se prononcer sur un référendum dont nous ignorons tout, la date et la question posée. Malheureusement, les tentatives de Jean Glavany et les miennes n’ont pas réussi et aujourd’hui, la décision a été prise d’organiser prématurément cette consultation interne. Nous avions mieux à faire que de nous entre-déchirer sur une question lointaine. Les urgences sont aujourd’hui d’une autre nature : les mauvais coups du gouvernement ; l’élaboration de notre projet pour 2007. Mais la décision a été prise. Nous ne pouvons pas participer à ce débat.

Nicolas Sarkozy et Michel Barnier viennent de se déclarer favorables à l’organisation d’un autre référendum, concernant l’entrée de la Turquie au sein de la communauté européenne. Quelle est votre opinion sur cette proposition ?
Sur les questions européennes, les responsables politiques, à droite, mais aussi parfois à gauche, ont un art savant pour tout mélanger et créer dans les esprits une extrême confusion ! Séparons les sujets. Au pays de Descartes, apprenons à faire appel à l’esprit de raison. Dans ce cas précis, l’entrée éventuelle de la Turquie aurait lieu dans 10 ans sinon 15. Pourquoi inquiéter l’opinion sur un sujet qui n’est pas d’actualité ? Concentrons-nous sur le traité européen qui n’a rien à voir avec l’entrée de la Turquie ! Je réprouve, même si parfois cela vient des socialistes, cette façon d’entretenir la confusion. C’est déjà assez compliqué, assez complexe pour ne pas en rajouter !

Lionel Jospin vient d’intervenir dans le débat européen en se prononçant comme vous, en faveur du oui. Cette prise de position, à ce moment précis de la vie du PS, partagé entre oui et non, divisé entre Hollande et Fabius, ne prélude-t-elle pas le retour de l’ancien candidat à l’élection présidentielle sur le devant de la scène ? Comment le vivez-vous, vous que l’on dit également « présidentiable » ?
Là encore, cessons de tout mélanger : les questions de personnes et les questions de fond ; les questions de tactique et le débat d’idées. Le choix du candidat à l’élection présidentielle interviendra dans un an et demi. Aujourd’hui, ce n’est pas le sujet. La question posée est de savoir si les socialistes rompent ou non avec leur tradition européenne et internationaliste. C’est une décision grave. Je plaide donc pour que l’on déconnecte les questions de personnes et le débat sur le traité européen.

Pour en revenir au projet de Constitution européenne, vous vous êtes prononcé très nettement en faveur du oui. Est-ce un oui sans réserve ou un oui pour ne pas dire non ?
C’est un oui sans réserves ! Pourquoi ? D’abord, on ne peut pas imaginer que le parti de Jaurès, de Léon Blum, de François Mitterrand, de Pierre Mauroy, de Lionel Jospin, tourne le dos à l’Europe. L’Europe est constitutive de notre âme, de notre identité.

Deuxièmement, le professeur de droit international que je suis peut dire, en pesant ses mots, que tout ce qui est nouveau dans ce traité est pour un socialiste le traité le plus social jamais conclu depuis le traité de Rome, acte fondateur de 1958. Il est aussi le traité le plus démocratique, celui qui assurera le maximum d’efficacité au fonctionnement des institutions européennes.

Tout ce qui est aujourd’hui contesté par les partisans du non porte sur des textes antérieurs qui tous, ont été négociés, ratifiés par les socialistes. C’est Alain Savary qui a été le rapporteur du traité de Rome à l’Assemblée nationale. C’est François Mitterrand qui a négocié le traité de Maastricht soutenu par les parlementaires socialistes. Tout ce qui est contesté aujourd’hui appartient à l’héritage socialiste. Ou bien, comme c’est mon cas, nous restons fidèles à nos engagements successifs qui ont apporté à l’Europe la paix et certains progrès économiques importants. Ou bien nous sommes contraints de nous renier, de dire aux Français que nous nous sommes trompés, et que par la même nous les aurions trompés ! Je pense au contraire que nous avons fait collectivement le bon choix en faveur de l’Europe, nous devons en être fiers. Dans le monde entier, le modèle social et économique européen est envié, même s’il doit être amélioré.

Par ailleurs, rien, pas une ligne, pas un mot, pas une phrase dans ce traité qui interdiraient à un gouvernement de gauche de mener une politique de gauche, ni à l’union européenne, si elle avait une majorité de gauche, de mener une politique européenne de gauche pour l’emploi, l’industrie, les prestations sociales. Ce n’est pas le carcan bruxellois - expression que je réprouve - qui a empêché Lionel Jospin d’amener la création de près de 2 millions d’emplois sous son gouvernement, ni la création de la CMU, ni la mise en place des emplois jeunes... Ce n’est pas Bruxelles qui est la cause de la casse sociale à laquelle on assiste dans notre pays, c’est Chirac et Raffarin ! Ce sont les seuls coupables, ce n’est pas Bruxelles. Le seul vrai coupable de nos maux c’est Chirac-Raffarin-le MEDEF et l’UMP ! Le gouvernement Zapatero, dans le budget qu’il propose à l’Espagne, c’est un budget de gauche : +30 % pour la politique sociale, + 20% pour l’éducation et la recherche. Bruxelles a-t-il empêché Zapatero de proposer un budget de gauche ? Non.

Ce traité, je le répète, ne comporte que des avancées. Pour faire peur, pour inquiéter, on l’appelle abusivement Constitution. Une constitution, ça vaut pour un état ou une nation. Mais il n’y a ni état ni nation européenne. Ce traité et un traité d’organisation. Dès lors, il peut être révisé à l’unanimité, ce qui a toujours été la règle en Europe et n’a pas empêche l’Europe d’avancer. Et si par malheur le traité était rejeté, c’est à l’unanimité qu’il devrait être renégocié. C’est le serpent qui se mord la queue ! Négocierait-on demain un nouveau traité ? Tous nos camarades socialistes européens sont favorables au traité et ils ne comprennent pas que certains d’entre eux le refusent.

Entre une Amérique impérialiste, quel qu’en soit la président, une Russie de plus en plus anti-démocratique et des fanatiques islamistes qui se livrent à la barbarie, il est vital de préserver une Europe qui reste un pôle de progrès social, de civilisation, de paix et de droit. Ne la déstabilisons pas ! Il va de soi que je respecte pleinement le sentiment des camarades qui ne partagent pas mon analyse.

Le budget 2005 vient d’être présenté et doit faire l’objet d’un prochain examen parlementaire. Quel regard portez-vous plus particulièrement sur les deux ministères dont vous avez eu la charge, la Culture et l’Education nationale ?
Au lieu de nous disputer sur le traité européen, on ferait mieux de se bagarrer pour sauver l’école de la République qui est en grave danger. On n’en parle pas ! A aucune de nos réunions. Le plus grand plan social est en route à l’Education nationale. La rentrée 2004, sur l’ensemble du pays par rapport à la rentrée 2002 que nous avions préparée, a vu disparaître 60 000 emplois ou personnels, c’est tragique ! Ce sera encore pire l’année prochaine puisqu’est programmée la suppression de 5 000 autres postes de professeurs de l’enseignement secondaire. La situation de l’école est donc autrement plus grave, c’est un sujet autrement important que l’Europe. C’est ici et maintenant, aujourd’hui en France. C’est une urgence absolue, pour nous socialistes.

Le budget de la Culture est moins médiocre. Simplement parce qu’il fait apparaître une légère augmentation par rapport aux trois dernières années qui étaient catastrophiques. Il manque toutefois l’équivalent de 3 milliards de francs. Les crédits à l’étranger s’écroulent, les aides aux mouvements d’éducation populaire sont cisaillés, les nouvelles dispositions sur les emplois jeunes ont mis en péril un grand nombre d’associations. Tout cela est très grave. Et c’est à ce gouvernement qu’on le doit, pas à Bruxelles ni à Strasbourg.

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