Arguments pour une Europe puissance

Pierre Moscovici
Intervention de Pierre Moscovici, député européen, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004.


 
Chers camarades,

je voudrais procéder à un élément d’analyse qui a été peu développée jusqu’à maintenant, qui porte sur la nature du texte. Parce qu’au fond, selon que ce soit un règlement intérieur, une constitution ou autre chose, il est clair que la conclusion de nos débats change parce que, ce qu’a dit Jean-Luc, ce qu’a dit Arnaud, était l’essentiel, à savoir que nous aurions un texte qui solenniserait les politiques et qui de surcroît les inscrirait dans le marbre ou bien ouvrirait une période de glaciation.

Je crois qu’il faut regarder ce qu’est le texte dont nous discutons et dont les militants seront saisis, c’est un texte qui rassemble à la fois, dans sa première partie, des textes qui portent sur les institutions et qui assurément ont les caractéristiques ou certaines caractéristiques d’une constitution. C’est un texte qui ensuite, dans sa deuxième partie, présente une charte des droits fondamentaux qui, comme toutes les déclarations de droit, a la caractéristique d’un préambule et qui porte des valeurs qui d’ailleurs seront plus proches des nôtres. Et c’est un texte qui, dans sa troisième partie, c’est vrai, reprend les politiques communes existantes, les met à jour, les consolide comme disent les juristes.

De quoi s’agit-il ?

Non, ce n’est pas un règlement intérieur. C’est plus que cela, c’est l’évidence.
Mais non, ce n’est pas non plus une constitution car je veux marquer mon accord avec ce qu’a dit Arnaud Montebourg. Il a dit : « Une constitution qui comporterait des politiques communes n’est pas une constitution. » Et bien sûr, il a raison. C’est justement parce que ce texte contient les politiques communes qu’il n’est pas une constitution. C’est un traité constitutionnel, c’est-à-dire un acte de droit un peu hybride qui, certes, a une portée forte, nais qui en même temps a été adopté, qui sera adopté selon les règles en vigueur, qui aura la même portée et le même type de force juridique, ni plus, ni moins, même si son contenu, lui, est plus fort. Et dès lors, il faut s’interroger sur ce contenu et se demander si ces institutions marquent une avancée, si cette charte est un progrès et si la troisième partie est une régression.C’est bien sûr plus l’heure de le faire.

Simplement, peut-être deux ou trois éléments qui ont été avancés jusqu’à maintenant sur la première partie : tout le monde a dit, Laurent l’a dit, que c’était une avancée pour l’essentiel, avec un point qui a été soulevé, ici ou là, qui concerne la laïcité. Et, je pense pour ma part Qu’il n’y a pas de régression sur la laïcité. C’est vrai qu’il y a une conception du dialogue avec les églises qui n’est pas la nôtre, mais en même temps j’ai été conventionnel et nous avons, nous socialistes, refusé l’inscription de l’héritage chrétien dans le préambule de la Constitution européenne.

Et j’ajoute, puisqu’on lit les articles jusqu’au bout, car c’est important, que non seulement on institutionnalise le dialogue avec les églises, mais aussi, et je cite, le statut donné par les constitutions nationales aux organisations philosophiques et non constitutionnelles. Est-ce là un recul en matière de laïcité ? C’est un non-confessionnel. C’est la première fois qu’on reconnaît ces organisations qui évidemment sont les défenseurs de la laïcité dans un texte de l’Union européenne.

Deuxième partie, c’est sur la charte. Tout à l’heure, Vincent disait ici que c’était le triomphe de Tony Blair parce que c’est vrai que les Britanniques ont donné une interprétation, pour ce qui les concernait, restrictive, en disant qu’il fallait respecter les lois nationales et qu’il fallait respecter la façon dont les traditions s’exer-çaient.

Eh bien, c’est vrai que Tony Blair a marqué un recul par rapport à ce que nous aurions souhaité, mais en même temps regardons les choses comme elles sont, ce texte est un texte de valeur(s), et nous savons qu’il sera interprété par des juges et que cela sera adressable par des citoyens européens, et que c’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui, pour la première fois, est elle aussi reconnue dans un texte de l'Union européenne qui aura à se prononcer là-dessus comme la Cour de justice des communautés européennes. Et ces progrès, n’ayons pas de toute, s’appliqueront et seront applicables aux citoyens.

Enfin, quelques mots sur la troisième partie en reprenant ce que disait Laurent, qui a pointé à l’évidence trois défis auxquels nous sommes confrontés : le nombre, parce que cette Europe à 25 est compliquée, le développement solidaire parce que c’est ce que nous voulons, et la puissance.

Mais, sur le nombre, je ferai observer un certain nombre de petites choses, d’abord qu’il y a 27 nouveaux domaines qui passent à la majorité qualifiée comme nous le souhaitons, et pas des petits puisque c’est la justice et les affaires intérieures, puisque c’est la politique étrangère et de sécurité commune dans certaines de ses composantes, puisque c’est l’énergie, tout un tas de sujets qui sont des sujets important pour les Européens. Et j’ajoute qu’il y a aussi des mécanismes de vote différentes, de décisions différents qui font qu’on a désormais six fois plus de chances d’avoir une décision à la majorité qualifiée que dans les traités actuels. Et on pourrait ajouter à cela que les coopérations renforcées sont facilitées, pas suffisamment, pas autant qu’on le souhaiterait, mais elles le sont.

Pour ce qui est de l'Europe puissance, on a beaucoup parlé ici de la défense, de l’OTAN, et c’est vrai que là aussi nous aurions souhaité que cela ne se fasse pas, mais on a peu parlé, parce que c’est la même chose, sur l’OTAN, ça figure déjà dans les traités actuels, a-t-on cité ici l’Agence de l’armement ? A-t-on dit qu’il y aurait une coopération structurée permanente pour les pays qui voulaient aller plus loin ? A-t-on dit qu’il y aurait la mise en oeuvre de capacités communes. A-t-on dit qu’il y aurait le développement d’investissements ? Bref, a-t-on dit qu’il y aurait dans cette constitution le début d’une défense européenne ?

Dernière chose, sur le développement solidaire, j’observe que, c’est vrai, ce texte est le premier qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux. J’observe qu’il propose un dialogue tripartite, un sommet social inscrit dans nos institutions. Et j’observe aussi sur les services publics que non seulement, contrairement à ce qui a été dit, il reprend ce qui figure dans le traité d’Amsterdam, mais qu’il va plus loin en nous donnant la base juridique pour cette loi-cadre sur les services publics que nous demandons. Donc, quand je me retourne sur tout ça, je me dis que c’est le contenu et non pas la nature qui doit être discriminante, et qu’à partir de ce moment-là, oui, il n’y a pas photo entre les traités actuels et ce projet de Traité constitutionnel.

Un dernier mot sur la révision parce que je crois que c’était là un argument essentiel : nous souhaitions que ce texte puisse être révisé dans les modalités plus simples que ce n’est le cas à l’heure actuelle. Mais reconnaissons, car c’est probablement la plus forte insuffisance de notre propre démarche, que nous n’y sommes pas parvenus, c’est-à-dire que nous avons aujourd’hui un traité qui peut être révisé exactement dans les mêmes conditions que la situation actuelle, c’est-à-dire à l’unanimité, comme tous les traités internationaux d’ailleurs.

C’est regrettable, mais je voudrais faire observer que ça n’a jamais empêché les traités antérieurs d’être modifié : Rome, Acte unique, Maastricht, Amsterdam et même ce malheureux Traité de Nice. Ils l’ont été et, je vous le dis, celui-là le sera aussi, mais il ne sera que si nous, les Socialistes, que si les forces de progrès sont capables de créer le rapport de forces pour qu’il en aille ainsi.

J’en termine. Écoutez, au fond, en matière de révision, on est confronté à un choix. Ce choix est le suivant : soit nous avons un traité, ce traité constitutionnel, qui certes est difficile à réviser mais qui marque des progrès, soit nous avons les traités actuels qui ne sont pas des progrès par définition mais qui sont exactement aussi difficiles à réviser, eh bien moi je vous le dis, parce que je pense que ce traité constitutionnel est un progrès, alors dans ce cas-là il faut le voter.

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