Construire un projet sérieux



Entretien avec Vincent Peillon, cofondateur du courant Nouveau Parti socialiste (NPS) diffusé sur l'antenne de RTL le 20 janvier 2003
Propos recueillis par Ruth Elkrief


 

Vous êtes avec Arnaud Montebourg et Julien Dray le troisième membre, ou le premier, ça c'est votre affaire, du Nouveau Parti Socialiste, ceux que certains appellent " les jeunes loups, les jeunes Turcs, ceux qui veulent être calife à la place du calife, les quadras ", c'est ça ?
Non, je ne crois pas que ce soit ça. Nous, ce que nous souhaitons, après le 21 avril, c'est qu'on prenne cet échec au sérieux, et que l'on comprenne pourquoi, quelles sont les raisons de fond qui nous ont fait perdre. Ca veut dire que nous considérons que le Parti socialiste a besoin de se transformer en profondeur, à la fois évidemment dans ses pratiques - on pourra en dire un mot - mais surtout dans son projet.

Qu'on change les têtes aussi...
Non, oui enfin les têtes si vous voulez. Tout le monde le propose d'ailleurs, j'ai vu que c'était un des deux points forts de François Hollande. Ca ne me semble pas l'essentiel, l'important c'est ce qu'il y a dans les têtes.

Alors il y a eu seize contributions à ce conseil national. Le Parti socialiste a un débat interne très approfondi, et puis peut-être que tous les auditeurs ne sont pas au courant de la manière dont ça se passe, mais enfin c'est une grande discussion avec chacun qui présente son texte et ses idées. A la fin, François Hollande a dit : maintenant ça y est, on a parlé, il est temps de se rassembler. Vous êtes d'accord ?
Non. C'est un petit peu rapide ! On commence simplement le débat et je crois qu'il y a, contrairement à ce que j'entends des différences de fond. Évidemment, les objectifs sont communs, et si on pense que la politique c'est des déclarations d'intention vagues : on veut mieux maîtriser la mondialisation, on veut une Europe sociale et plus démocratique, on veut une France plus juste. Alors on est tous d'accord franchement, au sein du parti socialiste, mais on peut aller un peu au-delà. J'ai vu l'UDF ce week-end, ils disent les mêmes choses.

Ah bon ?
Oui, bien entendu.

L'UDF et le parti socialiste disent la même chose aujourd'hui ?
Bien sûr qu'on veut une mondialisation mieux maîtrisée. Le vrai problème, c'est comment on fait et les engagements que l'on prend. Et là on commence à voir des différences qui sont extrêmement nettes ! Par exemple, si on dit : on veut une France dans laquelle les conditions sociales, les conditions de travail soient meilleures il faut prendre un certain nombre d'engagements. François Hollande ne le fait pas ! Il ne le fait pas sur les salaires, il ne le fait pas sur les 35 heures, et il ne le fait pas sur la flexibilité. Donc il va falloir avancer dans le débat. Si on dit : on veut une mondialisation mieux maîtrisée. Comment on fait ? Quel est le grand outil aujourd'hui pour maîtriser la mondialisation ? Sans doute l'Europe. Mais est-ce que l'Europe le fait ? Pas du tout, c'est un grand marché ! Il n'y a pas cette Europe démocratique et cette Europe sociale que tout le monde souhaite ! Alors comment on fait pour que l'Europe le devienne effectivement ?

Donc vous dites à François Hollande : on ne peut pas accepter des grandes déclarations vagues. Il faut aller plus loin. Mais est-ce que ça veut dire que vous seriez prêts quand même, vous pourriez tomber d'accord avec lui si vous arriviez à infléchir certaines de ses positions, et à l'influer sur la méthode ?
Avec l'ensemble des socialistes ! Ce que nous avons à construire c'est un projet sérieux. Je vois François Hollande, qui était contre hier, tout le monde le sait, qui dit : il faut aller vers le mandat unique. Ca n'exprime pas une grande volonté.

Le mandat unique des élus donc, c'est-à-dire abolir le cumul des mandats.
Voilà. Nous, nous disons : " il faut le mandat unique ", pas " nous allons aller vers le mandat unique ". On l'a déjà dit et on ne l'a pas fait. Et lorsque l'on s'est battu il y a deux ou trois ans au parlement, on a bien vu qui était pour et qui était contre, qui à ce moment-là s'est exprimé, et qui a pris des risques. Donc maintenant il faut des volontés plus fermes. " Il faut une démocratie plus moderne ", nous dit François Hollande, il a sans doute raison, mais nous, nous voulons une VIème République, un vrai régime parlementaire, ministériel, et nous voulons aussi par exemple vraiment transformer le sénat.

Vous remettez en question les pouvoirs du président de la République, et vous dites un peu que le premier ministre doit avoir tous les pouvoirs, enfin doit être le pouvoir exécutif, le seul représentant du pouvoir exécutif.
Devant le parlement, oui.

Et avec qui vous pourriez faire alliance alors ? On a entendu que Martine Aubry a déposé un texte, qu'elle s'est exprimée avec vigueur, avec énergie. Vous pourriez vous retrouver avec elle ?
Aujourd'hui notre souci n'est pas de faire alliance avec des personnalités, c'est de recueillir l'adhésion du plus grand nombre des militants socialistes, donc c'est avec beaucoup de militants dont les convictions sont sincères. Alors, après, c'est sur les idées que les uns et les autres doivent avancer, que ce soit Martine Aubry, que ce soit des gens moins connus, que ce soit François Hollande ou d'autres. Mais l'important au stade où on en est, et je crois quand même que ce qui est le plus important c'est comment on fait pour lutter contre la précarité du travail ? Comment on fait effectivement pour lutter contre cette mondialisation libérale ? Comment on fait pour faire en sorte que l'ensemble des Français se réconcilient avec la vie politique ? Car il y en a quand même la moitié qui aujourd'hui considèrent que cette vie politique est sans intérêt et ne transforme pas leur vie quotidienne.

On parle des Français, justement ils sont 60 % selon les derniers sondages à trouver que Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin sont formidables ! Enfin je résume évidemment, je schématise un petit peu, mais enfin, ils ont une popularité telle qu'on se demande un peu quelle place vous pouvez prendre quand même !
Non, ça vous savez, en 93 on a perdu durement, il nous fallait vingt ans, on était là en 97. En 97, la droite ne s'en remettrait jamais, ils sont arrivés en 2002.

Donc pour vous c'est la prochaine fois, c'est ça ?
Je pense qu'il faut se méfier un peu des sondages. La dernière élection présidentielle me l'a fait penser alors il y a un commentaire permanent, et tout le monde va au secours des puissants du moment. Je pense que les choses vont aller vite parce que, le fond de ce qui va mal en France et qui explique l'alternance depuis vingt ans, c'est-à-dire des problèmes justement non résolus, un défaut de crédibilité de la parole publique, et puis une forme d'engouement, instant après instant, qui conduit d'ailleurs les dirigeants à une certaine suffisance - et Monsieur Raffarin y arrive en ce moment - et donc après, à un défaut d'écoute.

Vos dirigeants l'ont vécu aussi, c'est ça ?
Absolument. Et je pense qu'aujourd'hui, vous savez les problèmes de fond, justement cette globalisation libérale, l'incapacité qu'a l'Europe à se construire de façon vraiment efficace - y compris par rapport aux États-Unis - les difficultés dans le travail d'un certain nombre de gens, un pays où la précarité de la France a considérablement augmenté, les situations individuelles, y compris pour les femmes, sont difficiles. Cela continue.

Parlons de l'Europe Vincent Peillon un instant. Puisque la réconciliation franco-allemande, l'axe franco-allemand est à l'honneur cette semaine. On n'entend pas grand chose du côté de la gauche, c'est Chirac/Schröder, mais à gauche il n'y a pas de discours en face.
Je pense que sur ce sujet, et depuis 83, il y a une très très grande difficulté. Nous sommes tous profondément Européens et aujourd'hui il y a une difficulté, c'est qu'il n'y a pas une grande différence entre ce que propose ou ce que nous avons proposé du point de vue de la politique européenne, et la droite.

Donc vous approuvez ce que dit Jacques Chirac aujourd'hui.
Non parce que je pense que la vraie difficulté aujourd'hui, le vrai problème européen, c'est de dire : si nous pensons que l'Europe doit être gouvernée économiquement, doit être gouvernée politiquement, et doit s'accompagner effectivement d'un modèle social. Il faut quand même constater que depuis vingt ans nous faisons le contraire de ce que nous disons. Et donc il va falloir créer une rupture. Nous avons dit pendant des années, par exemple avec François Mitterrand : il faut d'abord approfondir, avant d'élargir et une nouvelle fois, on va faire le contraire de ce que l'on dit, c'est-à-dire d'abord faire un grand marché, et les questions non traités, institutionnelles, ou les questions sociales, on les traitera après.

Il y a une réflexion sur la convention.
Et ça fait vingt ans qu'on ne le fait pas ! Donc je crois qu'aujourd'hui il faut se dire - parce que c'est ça la politique - : comment on fait le rapport de force ? de telle sorte que l'Europe ressemble, un peu, à ce que nous racontons aux uns et aux autres comme étant notre idéal européen.

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