Il nous faut préparer l'avenir

Martine Aubry
Intervention de Martine Aubry, maire de Lille, lors du Conseil national du Parti socialiste du 4 juin 2005.


 
Mes chers camarades,

oui, Laurent a raison, je crois qu’il faut effectivement entendre le vote du 29 mai. Et moi, personne ne m’empêchera de dire que je reste fière d’avoir voté oui dans un contexte international, où l’on n’a jamais eu autant besoin d’une Europe et d’une Europe plus influente, plus forte et plus sociale.

Mais je voudrais aussi dire, sans aucune polémique, qu’il m’est un peu difficile d’entendre, venant de certains, l’idée que je pourrais ne pas avoir compris depuis longtemps les souffrances de ceux qui se sont exprimés par le non. Nous l’avons compris, nous le savons.

Oui, c’est vrai que ce non, c’est d’abord l’expression d’une souffrance sociale insupportable et d’une crainte de l’avenir. Et un pays qui doute de l’avenir est un pays, nous le savons, qui va au mur, qui y va démocratiquement, car il renonce à ses valeurs et qu’il y va évidemment socialement.

Cette crise sociale, elle a commencé il y a déjà longtemps, elle a expliqué en partie le 21 avril, nous le savons aussi, et nous l’avons dit à ce moment-là, même si elle a été amplifiée et, ô comment, par ce gouvernement qui a organisé la classe sociale et qui n’a jamais entendu ce que la France lui a dit dans la rue ou dans les urnes.

Mais moi, je le dis clairement aussi, comme je l’ai dit pendant toute cette campagne : ce non est aussi le refus de l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, une Europe qui, ces dernières années, est allée dans le libéralisme avancé. Le paradoxe, c’est évidemment qu’en votant non, on se prive des outils que nous donnait cette constitution, et la Chine l’a compris dès le lendemain, et qui nous aurait permis... Je ne recommence pas le débat, j’ai toujours entendu ceux qui ont dit qu’elle n’était pas assez sociale. Ça, c’est un discours que l’on peut entendre, et je ne le critique pas. Je dis simplement que nous avons perdu cet instant-là.

Je voudrais dire aussi que ce vote, fondé sur une crise sociale et sur le rejet de l’Europe telle qu’elle est, est aussi profondément une crise du politique, une crise forte, une crise de confiance vis-à-vis de tous ceux, dans le fond, qui ont des pouvoirs politiques ou économiques dans notre pays.

Pourrait-il (je n’y reviendrai pas, beaucoup l’ont dit) en être autrement après dix ans d’un régime où Jacques Chirac, après des scandales financiers, après des propos qui n’ont jamais été suivis d’effets, après une morale qui a reculé d’année après année, gère le pays ? Pourrait-il aussi en être autrement dans un pays qui tolère des comportements de chefs d’entreprise prédateurs, licencieurs, et qui se servent après avoir serré la ceinture des salaires.

Mais pouvait-il aujourd’hui en être autrement ? Alors même que… Très à gauche, oui, parce que je l’ai toujours été, et vous ne me ferez pas changer d’avis… Eh bien oui, et j’allais y venir, peut-être parce que nous n’avons pas su, et c’est là notre propre responsabilité, aujourd’hui, pas seulement apporter des réponses à court terme du pouvoir d’achat, du logement, des transports, je les ai entendus, Laurent, mais beaucoup plus grave que ça, apporter des réponses à une société éclatée, pas en deux, mais en des milliers d’intérêts où le chômeur a envie du CDD et le regarde avec terreur, où le CDD regarde avec envie aussi le CDI, où il n’y a plus aujourd’hui, c’est vrai, de valeurs collectives qui sont capables de porter cette société. C’est cette ambition collective, c’est ce sens, c’est cette vision que nous devons apporter aujourd’hui, et pas seulement quelques propositions concrètes qu’il faudra bien évidemment faire.

Alors quel chemin ? D’abord, François l’a très bien dit : reprendre immédiatement ce que nous aurions dû faire et que nous n’avons pas fait, débattre avec le PSE pour trouver plus difficilement aujourd’hui qu’hier, si le oui l’avait emporté, mais pour trouver des voies pour avancer.

En second lieu, et là, ce que je vais dire ne va pas plaire à tout le monde, mais là aussi, je ne serais pas moi-même si je ne le disais pas parce que je l’ai vécu comme cela. Je ne suis pas en colère, je le dis à ceux qui croient que nous le soyons, j’ai été parfois triste, et j’ai parfois eu beaucoup de questions sur le Parti socialiste. Parce que, pendant cette campagne, j’ai beaucoup entendu parler des risques, et ces risques, pour moi, ce sont ceux qui sont maintenant devant nous. Quand j’ai entendu ce que je considère comme une crise du politique, c’est-à-dire des femmes et des hommes politiques qui préfèrent décrire les difficultés, même avec compassion, rappelons-nous Jacques Chirac avec la fracture sociale, ou encore mieux, conforter ou attiser les peurs.

Je le dis : pour moi, en tout cas, la politique, et en tout cas la gauche, c’est tout l’inverser, c’est régler les problèmes, ce n’est pas les décrire, c’est combattre les peurs, c’est en aucun cas les attiser.

Alors, mais oui, il est plus facile, dans une crise sociale telle que nous la vivons, d’être entendus en parlant effectivement du plombier polonais ou du péril turc. Ce ne sont pas, je le dis, mon cher Henri, tous ceux qui ont défendu le non, ce sont néanmoins certains d’entre nous, et il faut le dire, parce que ces propos, ce ne sont pas… Si vous criez, c’est que vous vous sentez visés, moi, je n’en vise que quelques-uns, mais j’aimerais que ces propos n’aient jamais été tenus. Car ces propos, ils confortent les replis sur soi, les refus de l’autre, alors que la gauche doit expliquer et convaincre que l’ouverture, la solidarité sont non seulement des valeurs universelles que nous défendons, mais aussi une réponse à nos propres problèmes.

Le monde irait mieux avec une meilleure répartition des richesses, et non l’inverse. Pourquoi et comment a-t-on pu dire le contraire ?

La crise sociale, la crise du politique, les peurs actuelles préparent notre pays à vivre, certains l’ont dit, une réponse dure et brutale d’un gouvernement qui n’a pas compris la crise sociale (mais est-ce que cela nous étonne ?), d’un gouvernement qui s’apprête à mettre la France en coupe réglée, dans un repli identitaire, et certainement après avoir fait peur avec les étrangers de l’extérieur, s’en prendre maintenant aux étrangers dans notre pays.

Il y a trop d’étrangers, dès hier, Nicolas Sarkozy en a parlé de certains en les traitant de voyous et de sauvages. Je le dis : ne comptez pas sur moi pour courir derrière la droite sur le discours de l’immigration, comme nous l’avons fait sur l’insécurité, faute d’avoir combattu à temps les causes qui ont amené à cette insécurité.

Alors, le gouvernement va, au nom de la nation, casser un peu plus la République et bafouer les droits de l’homme. Le gouvernement, derrière cet ordre formel, qu’incarne si bien Nicolas Sarkozy, va poursuivre sa sape sociale permettant au libéralisme d’intégrer les derniers reports économiques et d’intégrer notre société.

Alors, c’est vrai que, contre cela, mes camarades, dès aujourd’hui, nous pouvons et nous devons être rassemblés.

Mais je crois que nous ne ferions pas notre travail de socialistes, et certains nous l’ont rappelé après le 21 avril, en demandant qu’on ne se presse pas trop, qu’on aille au fond des choses, qu’on essaie de comprendre. Nous ne ferions pas notre travail si nous passions sur l’épreuve collective qui est la nôtre aujourd’hui, parce que nous n’avons pas su mener cette campagne en respectant les règles de notre parti, parce que nous n’avons pas su défendre une gauche non incantatoire, mais une gauche qui est utopique tout en disant la vérité car, pour moi, l’utopie n’est pas incompatible avec la vérité. Alors oui, ce débat a entraîné des divergences entre nous, nous n’avons pas le droit de ne pas aller au fond de cela. Si nous voulons être rassemblés non pas fictivement, conne l’auraient compris les Français, si nous sortions de cette salle, en disant : il n’y a pas de problèmes. Il n’y a pas de problèmes ? Entre des hommes et des femmes qui nous ont dit tout le contraire, y compris devant nous à la télévision ? De qui se moquent-ils ? Non, notre parti a toujours été dans le débat avec ses militants, et c’est cela que nous devons faire en préparant un congrès le plus ouvert possible, et là, Vincent a raison, je pense que le Premier secrétaire le dira, bien sûr avec toutes les forces du Parti.

Un mot pour dire que les valeurs que nous défendons doivent être au cœur de la vision du sens que nous devons redonner à la société, parce que je le disais à l’instant, bien sûr, il faut être innovant, il nous faut retrouver le chemin de la croissance créateur d’emplois, il nous faut retrouver des mesures justes par la fiscalité, dans la répartition des revenus, par l’accès de tous aux droits fondamentaux. Il nous faut préparer l’avenir.

Mais mes chers camarades, il y a plus grave, et si nous ne sommes pas prêts aujourd’hui, c’est peut-être parce que nous n’avons pas encore suffisamment travaillé. Le libéralisme et le capitalisme ont pourri les cœurs et la raison. Nous sommes dans une société où le matérialisme, l’acquisition des biens matériels sont l’alpha et l’oméga. Et nous, socialistes, nous ne pouvons pas seulement répondre par le pouvoir d’achat à ceux qui, bien sûr, en ont besoin, nous devons retrouver la solidarité vis-à-vis des personnes isolées, vis-à-vis des personnes âgées, nous devons retrouver un vivre ensemble, retrouver des valeurs qui font que l’on fait société et que notre pays aura envie de se retrouver et d’avoir une ambition collective de Français qui seront à nouveau fiers d’être les uns à côté des autres dans leur diversité et qui auront envie de construire l’avenir ensemble. C’est ça le travail considérable qui est devant nous.

Et j’en terminerai en disant que rassembler autour de ce projet est un projet majeur, car c’est celui, dans le fond, qu’attendent toutes les sociétés industrialisées qui ont tourné le dos à leurs valeurs, et notamment l'Europe.

Mais le rassemblement ne peut pas se faire sans tarification. Nous tromperions ceux qui sont dehors, nous nous tromperions nous-mêmes, et nous irions vers les mêmes désillusions qu’a portées cette campagne électorale.

Alors, clarifions effectivement quelles sont nos pensées profondes. Je pense que le Parti socialiste est au cœur de la gauche, je pense qu’il n’a aucune raison de s’installer dans un conglomérat qui serait censé représenter plus le peuple que nous.

Nous devons retrouver ce chemin du peuple, mais nous devons être au cœur de ces débats en proposant une vision.

Alors, mes chers camarades, c’est vrai que l’espérance, elle nous revient, elle est toujours revenue au Parti socialiste. Mais le courage, c’est d’abord le courage du débat, le débat sur ce qui nous a divisés, et le débat sur retrouver ces valeurs qui, parfois, ont manqué pendant cette campagne. Les Français attendent de nous cette espérance nouvelle, cette vision.

Mais je voudrais dire qu’après ce non, les Américains du Sud et les Africains qui attendent tant de l’Europe, attendent aussi que l’Europe redémarre. Oui, la Tchétchénie peut être tranquille, Poutine va pouvoir continuer, il faut le dire. Et l’unilatéralisme de M. Bush a de beaux jours devant lui.

Alors, rapidement, travaillons, donnons la parole aux militants, respectons cette parole car il n’y a pas de parti sans cela. Ayons le courage, mes chers camarades, non pas de retrouver un rassemblement fictif, mais de trouver ensemble la voie de l’espérance que les Français attendent de nous.

Merci.

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