Traité constitutionnel :
La Gauche
face à l'Europe


Débat entre Harlem Désir, député européen, vice-président du Parti socialiste européen, Noël Mamère, député (Verts) de la Gironde, maire de Bègles, Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste de l'Essonne, cofondateur de Nouveau Monde, Pierre Moscovici, vice-président socialiste du Parlement européen, Vincent Peillon, député européen, cofondateur du Nouveau Parti socialiste et Manuel Valls, député (PS) de l'Essonne, maire d'Evry

Cette rencontre a été organisée par Le Monde au Théâtre du Rond-Point (Paris) le lundi 18 octobre 2004, en partenariat avec TNS Sofres.
Propos recueillis par Edwy plenel.




Harlem
Désir



Noël
Mamère



Jean-Luc
Mélenchon



Pierre
Moscovici



Vincent
Peillon



Manuel
Valls



Les deux premiers invités sont Pierre Moscovici et Manuel Valls. L'un a été ministre des affaires européennes dans le gouvernement de Lionel Jospin. L'autre était à Matignon, porte-parole du même Lionel Jospin. L'un est pour le " oui ", l'autre pour le " non ". Au gouvernement, il semble qu'ils aient fait la même politique.
Pierre Moscovici :
C'est vrai que cela me fait un peu drôle d'être à côté de Manuel, en train de nous opposer. Pendant les conseils européens, les réunions de chefs d'Etat et de gouvernement - nous avons dû en faire une quinzaine ensemble -, tous les samedis soir, nous expliquions aux journalistes à quel point la politique européenne du gouvernement était bonne. Les socialistes ont toujours été des pivots de la construction européenne.

Quand on parle de pères fondateurs, ce sont des socialistes et des chrétiens-démocrates. Quand on regarde l'origine de tous les traités, la CECA, le traité de Rome, en 1957, tous ont été négociés par les sociaux-démocrates. L'Acte unique, en 1985, probablement le plus libéral d'ailleurs de l'histoire de l'Union européenne, puisque c'est celui qui fonde le grand marché intérieur, c'est Mitterrand qui est le président, c'est Laurent Fabius le premier ministre.

Maastricht ? C'est François Mitterrand qui appelle au référendum, et les socialistes qui votent pour. Amsterdam et Nice ? Nous étions là tous les deux, Manuel et moi, avec Lionel Jospin. Ce traité qui n'était pas bon, nous l'avons fait pour une raison simple : nous pensions qu'il fallait élargir l'Europe. Moi je pense comme Lionel Jospin : le socialisme ne se réduit pas à l'idée européenne, mais il est indissociable de l'idée européenne. Si nous disons non à ce traité-là, nous sommes dans une forme de rupture par rapport à ce que nous avons toujours fait.

Je suis conscient qu'aujourd'hui les Européens, et notamment les Français, doutent de l'Europe. Cela s'est manifesté à divers niveaux. D'abord, il y a ce fameux 21 avril 2002, où il y a eu une rupture entre les socialistes et les couches populaires. Il y a les insuffisances de la construction européenne, son incapacité à résister à la mondialisation, les faiblesses de l'Europe sociale, le fait qu'aujourd'hui cette Europe, c'est vrai, est dirigée par les droites, au Parlement, au Conseil, à la Commission. Et puis, sans doute aussi, les insuffisances que nous avons eues nous-mêmes dans notre politique européenne.

J'ai parlé d'élargissement, Jospin l'a fait, l'Europe sociale a progressé. Mais il y a le sentiment général que, pendant ces années où il y avait douze ou treize gouvernements socialistes en Europe, l'Europe n'a pas assez progressé. La chose qui nous rassemble tous, c'est la nécessité de réorienter la construction européenne. La vraie question, c'est celle-là.

La bonne réponse est-elle de dire non à ce traité ? Je ne le pense pas. Nous avons, nous socialistes, été de toutes les étapes de l'Union. C'est un marché intérieur que nous avons élargi en 1986. C'est une monnaie que nous avons mise sur ce marché en 1992. Ce sont des traités qui avaient une composante - oui, je le dis - libérale. C'était notre conversion, non pas au réel, mais au marché, puisque nous avions nous-mêmes tourné en 1983. Cela a été dur pour certains. Or là, pour la première fois, nous avons un traité qui n'est pas un traité sur le marché, libéral. C'est un traité social et politique.

Alors, Manuel Valls... Pierre Moscovici a parlé de rupture, d'évolution. La vôtre est manifeste. Vous êtes aujourd'hui député de l'Essonne, maire d'Evry. Vous étiez rocardien au début de votre engagement au PS, et Michel Rocard est très engagé sur l'Europe. Est-ce que, dans cette évolution, il n'y a pas le choix d'une partie de la gauche française d'être dans le sillon d'une gauche nationale ?
Manuel Valls :
Je ne le crois pas. Le maire que je suis, engagé, cherche à concilier la France et la République, l'Europe et le monde, et, au fond, c'est cela être socialiste. Mais, oui, j'ai évolué. Nous sommes profondément européens. Ce n'est pas cela qui est en cause. L'Europe, c'est fait. C'est la paix. La réconciliation franco-allemande. La réunification, d'une certaine manière, du continent. C'est passé par l'élargissement au Sud, la Grèce, le Portugal, l'Espagne. A l'Est aussi, et j'ai voté l'intégration de ces pays. Parce que, moralement, on ne pouvait pas leur dire non. Mais il ne s'agit plus de cela.

Maintenant, la question est : " Quelle Europe voulons-nous ? " Les socialistes, depuis des années, s'interrogent avec la gauche sur la nature même de cette Europe. Ce sont les conditions pour Amsterdam. C'est le "non au non" juste avant, au traité de Maastricht, qui était déjà, quand même, un questionnement de Lionel Jospin. Ce sont les exigences que nous avons formulées il y a un an pour la Constitution européenne, et dont, contrairement à Pierre, je ne pense pas qu'elles soient remplies !

Au-delà, ce qui m'a frappé, c'est bien le 21 avril. Ce hiatus terrible entre une construction politique, nationale ou européenne, et les couches populaires. J'ai changé, non pas sur l'Europe, mais sur la manière dont on la construit. Je voudrais que l'on offre des choix. Je crois que l'Europe, aujourd'hui, est en train de crever, de mourir de ce qu'il n'y ait pas un véritable débat.

On dit à chaque fois : " Maastricht ? Ce n'est pas parfait, mais il faut voter non au non ", " Amsterdam ? Ce n'est pas tout à fait réalisé mais il faut avancer "... Et maintenant, pour le traité de Bruxelles, pour la Convention : " C'est loin d'être parfait, cela ne correspond pas à notre projet, mais le rapport de forces n'y est pas. Tous les gouvernements ne sont pas socialistes ! " Or, il y a eu un moment où quasiment tous les gouvernements étaient dirigés par les socialistes, les sociaux-démocrates.

Si nous votons le traité constitutionnel, les politiques économiques, sociales, budgétaires, fiscales seront enfermées durablement. Elles ne seront pas révisables. C'est le libéralisme institutionnalisé dans ces politiques. C'est la raison pour laquelle je pense que le " non " est nécessaire, qu'il est refondateur. Il ne provoque pas la crise. Il permet de rebâtir un projet européen.

Notre débat n'est pas un petit débat mesquin, franco-français. Aujourd'hui, le libéralisme et les thèses anglo-saxonnes l'ont emporté. Il faut que les socialistes français le reconnaissent.

Pierre Moscovici :
Je conteste ce que tu as dis, Manuel, sur le traité. Aujourd'hui, dans ce Parti socialiste européen qui comporte trente-deux partis, il y en a trente qui sont pour, un seul contre, le Parti socialiste maltais, qui a toujours été eurosceptique. Si l'on regarde la Confédération européenne des syndicats, un seul syndicat a voté contre, Force ouvrière. Nous devrions peut-être nous demander pourquoi les autres sont pour. Ils ne le sont pas uniquement parce qu'ils sont conformistes, mais parce qu'ils trouvent, dans le traité, la capacité d'avancer sur le terrain social. Et moi, je n'ai pas envie d'une forme de fédéralisme solitaire.

Manuel Valls :
Le 13 juin, l'abstention massive, la montée des nationalistes dans un certain nombre de pays, le rejet des politiques gouvernementales économiques et sociales, chez nous, en Allemagne, en Grande-Bretagne, devraient peut-être plus nous interroger que l'avenir du Parti socialiste européen.

Place au deuxième tandem, deux députés européens : Harlem Désir et Vincent Peillon, l'un des fondateurs du courant, avec Arnaud Montebourg, Nouveau Parti socialiste.
Vincent Peillon :
Vous n'avez pas précisé que l'on parle d'une Constitution. Vous avez - comme dans toutes les Constitutions - une architecture institutionnelle (le mode d'organisation des pouvoirs), une déclaration de valeurs (la charte sociale), et puis une troisième partie qui traite des politiques publiques sur tous les sujets : énergie, transports, économie, fiscalité, etc. Or, dans le processus de la Convention, où étaient présents - bien entendu - les socialistes, dont Pierre Moscovici, la troisième partie n'a pas été débattue : elle est arrivée tout à fait à la fin. Ce coup de force libéral qui a été accompli a été très bien raconté dans un petit ouvrage cosigné par Pierre Moscovici et Pervenche Bérès.

C'est une évidence : il faut une Constitution pour l'Europe. Surtout l'Europe élargie à 25. Mais vous imaginez une Constitution française dans laquelle on dirait : " On va avoir des relations privilégiées avec la Chine ", " Ce sont uniquement des nationalisations qui doivent être accomplies dans le domaine économique " ? Or, là, la Constitution européenne nous dit : " La valeur suprême c'est la concurrence, la stabilité des prix est l'objectif premier, et nous aurons des rapports absolument privilégiés avec l'OTAN. " Donc, le contenu est politique. Je le dis, y compris pour les camarades de la Convention qui ont participé : ils ne sont pas comptables de ce coup de force sur la troisième partie, qui fait que l'on a un objet politique non identifié.

S'il n'y avait que les deux premières parties qui renvoient à des principes constitutionnels, vous voteriez " oui " ?
Vincent Peillon :
A deux ou trois toutes petites réserves, oui. La troisième partie, elle, est inacceptable et n'a rien à faire dans une Constitution.

Harlem Désir, nous avons parlé de l'élargissement à 25. Et certains, au Parti socialiste, s'en sont émus en temps et en heure. Par exemple, un député européen - c'était en octobre 2002 - le critiquait avec Marie-Noëlle Lienemann, qui est d'ailleurs, aujourd'hui, de manière assez cohérente, une partisane du " non ". Ce député, c'était vous. Vous êtes maintenant dans le camp des raisonnables, alors ?
Harlem Désir :
J'ai voté pour l'élargissement. Et j'ai plaidé au sein du Parti socialiste le fait que, même si les conditions que nous avions souhaitées n'étaient pas exactement au rendez-vous, nous ne pouvions pas fermer la porte aux peuples qui étaient restés derrière le rideau de fer pendant plus de quarante ans. C'est vrai qu'un certain nombre d'événements ont pesé : il y a eu cette mauvaise conscience, au sein de l'Union, de ne pas avoir réussi la réforme politique à Nice, la dérive américaine vers le néoconservatisme, le risque d'une barbarie dans une partie du reste du monde autour de l'intégrisme. Cela a amené une prise de conscience européenne.

Je suis assez frappé par le fait que les partisans du " non ", pas seulement au sein de notre famille politique, quand ils parlent de l'Union européenne, en parlent presque systématiquement de façon dévalorisante. Nos partenaires sont vus sous l'angle de travailleurs concurrents, de partenaires déloyaux, de modèles au rabais. Or, je crois que l'Europe est la plus belle nouvelle dans l'histoire de l'humanité depuis cinquante ans. Elle est un démenti à la fatalité de la guerre ; un contrepoids à l'unilatéralisme ; une alternative à la domination d'une seule puissance et d'un seul modèle ; le principal contributeur des Nations unies ; le choix du multilatéralisme. Sans l'Europe, il n'y aurait pas Kyoto ; il n'y aurait pas la Cour pénale internationale. Elle est une référence partout : en Asie, en Afrique, en Amérique latine.

Vincent Peillon :
La vraie question, c'est de reconnaître ce que les plus éminents partisans du " oui " reconnaissent eux-mêmes lorsqu'ils sont dans une phase moins militante. Dominique Strauss-Kahn et Bertrand Delanoë l'ont écrit : l'absence d'harmonisation fiscale, qui est le grand recul, va entraîner davantage de délocalisations et davantage de chômage en Europe. Même Jean-Louis Bourlanges, le président de la commission des libertés au Parlement européen, qui n'est pas socialiste, explique : ce traité s'arrête là où la politique commence. Il cite tous les sujets : politique étrangère et sécurité commune, à cause de la règle de l'unanimité ; politique économique, politique sociale. Est-ce que nous avons l'instrument politique avec ce traité pour répondre à la crise qui existe non seulement en France, avec le 21 avril, mais avec la montée des populismes, partout en Europe ? Ce traité non seulement n'apporte pas les réponses qu'il faut, mais il empêche qu'on puisse les apporter demain.

De l'aveu même des partisans du " oui ", il marque la victoire de l'Europe anglaise et de l'Europe-faiblesse. De temps en temps, pour réorienter l'Europe, on vous dit : " Signez, on discutera après. " Je n'ai jamais procédé comme ça. Relançons la négociation, puisque Nice s'applique jusqu'à 2009, et entrons dans cette négociation non pas au nom d'un repli nationaliste - comment peut-on l'imaginer une seconde ? -, mais au nom, au contraire, de l'idéal européen, dont les peuples sont en train de s'éloigner.

Harlem Désir :
Si nous rejetions le traité au motif que nous n'avons pas obtenu la possibilité d'harmoniser fiscalement autrement qu'à l'unanimité, nous ne nous débarrasserions pas du tout de cette règle. Elle resterait, puisqu'elle est issue des traités présents, qui seraient encore en vigueur. Par contre, nous repousserions les progrès des pouvoirs du Parlement européen, la désignation du président de la Commission en fonction de la majorité aux élections européennes, le fait que, quand le Conseil adopte des législations, il devra maintenant le faire d'une façon publique, les droits syndicaux reconnus dans la charte. L'Europe avance par compromis successifs. Mais tout compromis n'est pas un reniement, un renoncement, une capitulation. Il faut abandonner ce vocabulaire du bazar nationaliste !

Je vais passer au troisième tandem : Jean-Luc Mélenchon et Noël Mamère. Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre et à nouveau sénateur de l'Essonne, vous, vous n'aimez pas trop qu'on rappelle une citation qui a surpris, venant de vous, très internationaliste, qui est : " Pour la première fois, l'Europe se construit contre la France. "
Jean-Luc Mélenchon :
Moi, je suis fédéraliste européen. J'appartiens à la tradition républicaine du socialisme. Là on doit faire attention : on a fait beaucoup de compromis, on a fait beaucoup de pas en avant, et, à un moment donné, comme on le fait dans nos propres vies personnelles, on se retourne et on se demande : " Est-ce que la somme des compromis que j'ai faits jusque-là ne m'a pas amené à faire le contraire de ce que je voulais faire ? " Il va falloir voter par référendum pour un texte qui a 488 articles dont 317 portent sur des politiques précises. C'est pourquoi je souhaiterais qu'on parle plutôt texte en main, même si ça a un petit côté notaire.

La valeur centrale de ce document, c'est la liberté de la concurrence. Tout au long du texte, sur tous les sujets, il n'est question que de ça. Je ne veux pas faire de mauvais esprit, mais je découvre que pour la première fois nous aurons une devise européenne adoptée dans la Constitution. Et ça s'appelle " Unis dans la diversité ". Je laisse chacun juge de penser s'il n'y a pas un rapport entre cette union dans la diversité, le principe communautariste, le libéralisme.

La seule chose qui est explicitement prévue dans ce texte se trouve à l'article 3-210. En matière sociale, la loi ou la loi-cadre européenne peut proposer toutes sortes de choses intéressantes - la concertation, les échanges de connaissances, d'informations -, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres.

Pour le cas où vous n'auriez pas compris, la même chose se trouve à l'article 3-207 en matière d'emploi. Et pour ceux qui vraiment ne comprennent rien, à l'article 3-279, il est dit qu'il n'est pas question que la politique industrielle de l'Europe puisse d'une quelconque manière être harmonisée. Si vous votez un texte dans lequel il est dit que tout ce pour quoi vous vous êtes battu ne peut pas se produire. Vous pouvez toujours me répondre : on le rectifiera après. Mais, dans ce cas- là, pourquoi l'adopter maintenant ? C'est un texte de blocage social.

Peut- être qu'on va parler de la paix. Après tout, c'est quand même pour ça, au début, qu'on a fait l'Europe. Mais la paix, ce n'est pas la paix avec les Finlandais : on n'a jamais été en guerre avec eux ! C'est la paix avec les Allemands, il faut être sérieux ! Alors, qu'est-ce qu'on peut faire pour se rapprocher des Allemands ?

Dorénavant, si nous voulons aller plus loin que ce texte avec les Allemands, il faut qu'un tiers des pays membres soient d'accord. Il faut que la Commission décide de transmettre le projet de coopération renforcée au Parlement - elle peut ne pas le transmettre. Puis que le Parlement vote. Et pour terminer, c'est le Conseil qui décide si oui ou non cette coopération renforcée aura lieu. Autrement dit, il n'y a plus aucune chance que nous avancions davantage dans une intégration démocratique avec les Allemands.

Noël Mamère, vous dénoncez dans votre dernier livre ce que vous appelez " la privatisation du monde ". Les altermondialistes dont vous parlez seraient plutôt du côté du "non"...
Noël Mamère :
Pas forcément. Si je suis du côté des " alter ", je suis aussi du côté du " oui ". Je trouve que, depuis quelques semaines, le débat est un peu trop franco-français. Je le qualifierai d'un peu provincial. Et je me trouve un peu un intrus dans ce débat entre socialistes, pensant qu'au fond, dans notre pays, on est en train de croire que nous serions le nombril du monde ; que notre modèle serait le parangon de toutes les vertus sociales et économiques, et qu'au fond il faudrait faire l'Europe pratiquement tout seuls, sans tenir compte des autres pays.

Je crois qu'il faut s'inspirer de cette phrase de Raymond Aron, qui disait que quand on vous propose un projet, il ne faut pas le comparer à l'idéal, mais chercher la solution technique la plus efficace.

La Constitution qui nous est proposée n'est pas la Constitution Giscard. C'est une Constitution qui a été préparée par une convention dans laquelle ont siégé des représentants des Parlements nationaux, des représentants de la droite et de la gauche. C'est une Constitution qui a été préparée dans une logique qui est celle que nous dénonçons aujourd'hui, qui est la logique intergouvernementale.

Mais jusqu'à nouvel ordre je n'ai pas entendu un responsable socialiste lorsqu'il était au pouvoir, ni aujourd'hui la droite, remettre en cause cette logique intergouvernementale.

Je constate que dans ce projet de Constitution, que je ne considère pas comme idéal, la notion de l'Union européenne devient une entité juridique. Puisque l'Union européenne est maintenant une entité juridique ; puisqu'elle sera dotée d'une politique étrangère et de sécurité commune avec un " M. Affaires étrangères ", elle pourra siéger dans un certain nombre d'institutions. Je demande que dans ces institutions, l'Europe, comme dans l'Organisation mondiale du commerce, ait un rôle plus important et plus cohérent, et qu'elle ne se déchire pas, comme ç'a été le cas notamment face à l'unilatéralisme américain.

Il y a aussi ce qu'on appelle la " loi d'initiative européenne ". C'est un million de citoyens qui, sur un sujet précis, peuvent rassembler leurs signatures, passer par le Parlement, puisque c'est prévu par la nouvelle Constitution, et exiger du Conseil européen qu'il l'examine si le Parlement le reprend à son compte. Nous trouverons, c'est évident, beaucoup plus d'un million de signataires pour faire entrer dans la Constitution l'harmonisation fiscale et l'harmonisation sociale.

C'est trop facile d'accuser l'Europe d'être la cause de tous nos maux. Que je sache, aujourd'hui, la politique qui est menée par le chancelier allemand Schröder ou par M. Raffarin en matière de code du travail, qui est complètement démantelé, ce n'est pas l'Europe qui l'a exigée.

Pierre Moscovici :
En écoutant ce que vous avez dit les uns et les autres, j'ai senti dans les propos une forme, une sorte de violence des mots, fût-elle contenue, qui, pour moi, peut être assez lourde de conséquences. Il n'y a pas ici, je te le dis, Vincent, ceux qui s'indignent et ceux qui se compromettent. Il n'y a pas ceux qui sont du côté du peuple et ceux qui seraient du côté de je ne sais quel accord avec des possédants. Ne faisons pas de ce débat une forme de scission rampante.

Nous sommes tous européens. Interrogeons-nous sur ce que cela veut dire. C'est là que le débat est identitaire.

La troisième partie du texte, celle que tu cites, Jean-Luc, c'est la consolidation des traités actuels, c'est leur mise à jour aussi. Tu as cité X fois la concurrence libre et non faussée... Des socialistes en 2004 doivent-ils forcément considérer que la concurrence ne devrait pas être libre et qu'elle devrait être faussée ? A mon avis, nous n'en sommes plus là.

Jean-Luc Mélenchon :
Cela n'a pas de sens.

Pierre Moscovici :
C'est le sens, au fond, de ce qui nous sépare aujourd'hui peut-être. Pour moi, nous sommes en train de refermer cette fameuse parenthèse de 1983, d'assumer d'être pleinement européens. Tout ce qui figure sur la concurrence, c'est déjà dans les traités. Pour moi, ce n'est pas une solennisation de politique libérale. Il y a de nouvelles institutions, de nouveaux droits et la confirmation dans les mêmes formes qu'auparavant des politiques menées par l'Europe. Quant à la révision, c'est faux de dire qu'elle est impossible. Cela peut être modifié exactement selon les mêmes conditions qu'aujourd'hui, à l'unanimité. On a le choix entre ce traité difficile à réviser et les traités antérieurs, y compris celui de Nice, tout aussi difficiles à réviser. La question est de savoir lequel est le meilleur. Pour moi, le meilleur est indubitablement celui-là.

Vincent Peillon :
Si les questions sociales étaient résolues avec ce traité, les partisans du oui ne réclameraient pas un traité social pour demain comme ils le réclamaient hier ; ils ne réclameraient pas l'approfondissement démocratique. Nous sommes allés faire campagne aux élections européennes, et nous avons remporté un beau succès, unique en Europe, sur un thème qui n'était pas " On va vous vendre le traité constitutionnel ". Au contraire, on s'est dit : c'est invendable ! On s'est mis d'accord sur : " Et maintenant l'Europe sociale ". Nous le redisons aujourd'hui : la Constitution n'est pas terrible, on va demander un traité social pour la prochaine fois. C'est la position de François Hollande. Nous avons voté, il y a un an, entre nous, des conditions qui ne sont pas remplies. Nous avons fait une campagne sur l'Europe sociale. Peut-on, par rapport à la vie démocratique, faire le contraire de ce qu'on a dit il y a un an ? Je ne le crois pas.

Le droit de pétition ? Une mesure cosmétique ! Faut-il voter ce traité constitutionnel pour l'obtenir ? Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissant d'un nombre significatif d'Etats membres, peuvent prendre l'initiative d'" inviter " la Commission, et la Commission fera ce qu'elle voudra derrière. Les procédures de révisions ? Je vous lis l'article 4-444 sur les procédures de révision simplifiée. Il suffira, dans une Europe à 25, demain à 27, 28, puis 30, qu'un Parlement national dise : " Nous ne sommes pas d'accord " pour que cela ne se fasse pas. Alors, on dit : " Cela a toujours été le cas. " Bien entendu ! Mais si l'on a fait ce traité, c'est précisément parce qu'on est 25, demain 30, et que se pose la question de la Turquie - j'y suis favorable.

Dans le titre III, la reconnaissance de tous les services publics - qui existait déjà dans le traité d'Amsterdam - n'est plus affichée comme une valeur, et c'est une régression. Les services publics sont soumis en permanence à la règle supérieure de la concurrence libre et non faussée, qui ne permet pas de verser effectivement les aides dont on a besoin.

Manuel Valls :
Je suis d'accord avec Pierre Moscovici pour dire qu'il faut éviter de caricaturer la position des uns et des autres. Il n'est pas vendu au libéralisme, nous ne sommes pas, nous, vendus à un nationalisme étriqué, sans vision, repliés sur nous- mêmes. Le PS n'a pas débattu de ces questions depuis longtemps. Mais reconnaissons que toute une série de questions essentielles posées par le 21 avril,avant ou après, notamment sur le type de politique que nous voulons mener en France, sur l'Europe que nous voulons ou sur la relation avec les couches populaires, ne sont pas aujourd'hui résolues, elles sont devant nous. Il n'y a plus de projet européen, ni en France, ni en Allemagne, ni dans les autres pays depuis la chute du rideau de fer. Le dernier grand discours européen a été fait par Joschka Fischer, en 2000. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler quels ont été les déclarations et l'accueil froid des Français, peut-être du porte-parole de Matignon, peut-être du porte-parole du PS, en tout cas d'Hubert Védrine et du ministre des affaires européennes...

Pierre Moscovici :
J'en ai assez d'être cité comme cela ! J'ai toujours été en désaccord avec Hubert Védrine. C'est vrai que le discours de Joschka Fischer a eu beaucoup de force, mais un autre n'était pas mauvais : celui de Lionel Jospin, en mai 2001, qui disait oui à Joschka Fischer. Je l'avais rédigé.

Manuel Valls :
Lionel Jospin va nous réconcilier. Mais, non, non. Je crois que c'est le dernier grand discours, et, derrière, il n'y a plus de projet européen...

Soit on laisse, au nom du compromis, se développer la politique des petits pas - il vaut mieux engranger ce qu'on a, parce qu'à 25 c'est difficile, et on constate tout de même une dérive libérale. Soit on essaie de réconcilier deux idées : l'idée sociale, que nous portons, et l'idée européenne. D'autres, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Tchéquie, diront peut-être " non " avant nous. Donc la question de savoir ce qui va se passer en cas de rejet du traité constitutionnel ne se pose pas qu'aux Français.

Harlem Désir :
Excuse-moi, Jean-Luc, quand on t'entend parler de ce traité - et d'ailleurs aussi des précédents -, on ne comprend même pas comment existe une directive sur les comités d'entreprise européens. A t'écouter, on va supprimer Airbus, il n'y aura plus Ariane Espace. C'est faux. Ce traité n'empêche rien de ce qui était prévu et permis auparavant. Au contraire, il permet d'aller plus loin. C'est un compromis. Un compromis passé avec les autres Européens, parmi lesquels des socialistes, pour que l'Europe reste un équilibre entre intégration économique et haut niveau de protection et de droits sociaux. Aujourd'hui, la question qui nous est posée est de savoir si nous assumons le réformisme et le choix européen de 1983 jusqu'au bout. Ou si nous pensons qu'une rupture révolutionnaire dans un seul pays peut renverser la table.

Manuel Valls :
Moi qui reste rocardien de cœur, quand je vois Michel Rocard -  pour qui je me suis engagé en politique - dire : " L'Europe politique c'est fini. On en a pris pour trente ans, il n'y a pas d'évolution possible ", alors oui, le 21 avril est devant nous ! De quelles opinions publiques parles-tu, Harlem ? Elles se sont exprimées quand ? A la Convention ? Non ! Elles se sont exprimées le 13 juin !

Harlem Désir :
Le 13 juin, toutes les forces politiques, toutes les listes qui ont fait campagne contre la Constitution ont subi un revers ! Nous n'avons pas fait campagne contre la Constitution et nous avons été majoritaires.

Manuel Valls :
Non, nous avons fait campagne sur l'Europe sociale ! Je me rappelle très bien, le 14 juin, au lendemain des élections européennes, j'ai rencontré les salariés de LU à Ris-Orangis. Et ils avaient voté pour nous cette fois-ci. Précisément parce qu'il y avait le message de l'Europe sociale. Et il m'ont dit : " N'oublie pas ce qui c'est passé le 21 avril ! "

Noël Mamère :
C'est prendre les gens pour des imbéciles que de leur faire croire que, le 13 juin, les socialistes français ont fait un bon score sur une campagne européenne. Ç'a été un rejet de Raffarin et de la politique de Raffarin. Et c'est là-dessus que vous vous êtes battus. Qu'on ne vienne pas nous dire ce soir que vous avez expliqué l'Europe aux Français. C'est complètement bidon !

Jean-Luc Mélenchon :
On nous dit : " Qu'est-ce que vous faites si le " non " l'emporte ? " Moi, je dis : " Qu'est-ce qu'on fait si c'est le " oui " ? " Suppose, Harlem, que tu es au pouvoir...

Harlem Désir :
Oui, et tu l'étais. Ce serait bien que dans l'opposition on ait la même attitude qu'au pouvoir...

Jean-Luc Mélenchon :
L'élection présidentielle a lieu en 2007. Tu arrives alors que tu as voté " oui " en 2005. Tu te présentes devant tes collègues européens. La Constitution ne s'appliquera que deux ans plus tard, en 2009. Tu leur dis : " Mes chers amis, je vous propose de changer une Constitution qui ne s'est pas encore appliquée. " On dira : " Ces Français sont fous ! " Ils votent " oui " et ils viennent nous dire que c'est " non ". Quand on dit " non ", on établit un rapport de forces. Je vous dis qu'un texte comme cela, qui jette les peuples les uns contre les autres - avec la concurrence libre et non faussée -, porte le nationalisme comme la nuée porte l'orage !

Noël Mamère :
Je ne sais pas si ce débat me rapprochera des socialistes. Il y aurait beaucoup moins de paysans aujourd'hui s'il n'y avait pas l'Europe ; il y aurait un certain nombre de directives qui n'existeraient pas en matière d'environnement s'il n'y avait pas l'Europe ; il y aurait des régions qui seraient aujourd'hui victimes d'une très grande pauvreté s'il n'y avait pas l'Europe, qui est la première à avoir appliqué d'une certaine manière la discrimination positive.

Venir nous faire croire que le message de la France serait celui qui porterait l'avenir de l'Europe et éclairerait nos amis socialistes européens, c'est d'abord très prétentieux, et c'est ensuite une contrevérité, pour la bonne raison qu'il y a d'autres pays européens qui sont socialistes qui voteront avant nous. Il faut prendre les choses telles qu'elles sont et essayer de les améliorer.

© Copyright Le Monde

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]