Discours
du Premier ministre
en clôture
de l'université d'été,
le 3 septembre 2000

 
 


Cher(e)s camarades,
Cher(e)s ami(e)s,

Pour la quatrième année en tant que Premier ministre, je vous retrouve avec bonheur à La Rochelle pour l'Université d'été du Parti socialiste, à l'invitation de François Hollande, notre Premier secrétaire - que je salue chaleureusement -, et grâce à l'hospitalité de Maxime Bono, le maire de la belle cité qui nous accueille, que je remercie.

Ces journées sont pour nous tous, militants, sympathisants, élus, responsables du Parti socialiste, ministres, un moment privilégié pour réfléchir au projet politique que nous portons ensemble. Cette année, parmi tous vos visages amis, la haute figure de Pierre Guidoni me manque. Celui qui a si longtemps accompagné nos combats de la profondeur de sa réflexion et de la richesse de ses connaissances historiques, celui qui vivait en militant passionné, nous a quittés. Mais son souvenir ne nous quitte pas, comme celui de Michel Crépeau, si présent lui aussi à nos esprits.

Pierre et Michel auraient aimé prendre part aux travaux qui vous réunissent sur le thème des nouveaux droits et de la réduction des inégalités, et qui ont attiré des militants nombreux, venus de toutes les régions de France. Je suis reconnaissant aux responsables de ces journées, aux premiers rangs desquels Henri Weber, d'avoir su assurer le succès que rencontre, cette année encore, l'Université d'été.

A mon tour et à ma place, celle d'un Premier ministre socialiste animant un gouvernement de gauche soutenu par une majorité plurielle, je voudrais apporter une contribution à votre réflexion collective, en donnant mon éclairage sur l'action du gouvernement. Je le ferai en évoquant plusieurs grands dossiers de cette rentrée 2000. Chacun illustre à sa manière, de façon pleinement politique, la conception de la République mise en œuvre, dans l'action, par le Gouvernement.

Je commencerai par les dossiers
politiques et institutionnels.



 Et parlerai d'abord du quinquennat.
Le 24 septembre prochain, les Français sont appelés à se prononcer sur le quinquennat par la voie du referendum. En trois ans, nous avons tenu, malgré les blocages de la droite et du Sénat, les engagements pris lors de notre campagne de 1997, en lançant une importante modernisation de notre vie politique : la parité, la limitation du cumul des mandats, la réforme du mode de scrutin des élections sénatoriales, l'inscription automatique des jeunes, à leur majorité, sur les listes électorales. Pour ce qui concerne le quinquennat, vous m'accorderez ici le temps d'un sourire : je ne pensais pas qu'un de mes engagements de la campagne présidentielle de 1995 serait, lui, honoré si vite. Je ne boude donc pas mon plaisir... Je suis depuis longtemps favorable au quinquennat. Par conséquent, je voterai " oui ". Et j'invite tous les Français à faire de même.

Je voterai " oui ", parce que l'instauration du quinquennat mettra fin à une exception et à un archaïsme. Le septennat est en effet une exception : confier autant de pouvoir aussi longtemps à une même personne est une singularité parmi les grandes démocraties. Le septennat est aussi un archaïsme. Historiquement, il est né du compromis ambigu passé en 1875 entre les républicains d'alors et les monarchistes. Instaurer le quinquennat, c'est dépasser une réminiscence monarchique pour adopter un rythme plus démocratique. Plus de démocratie, c'est un pouvoir dévolu par le peuple, pour une durée raisonnable, à des dirigeants qui doivent rendre compte plus fréquemment de leur action. Cette remise en jeu à échéances plus rapprochées d'un mandat essentiel est au cœur de la responsabilité propre à l'exercice du pouvoir. Le quinquennat permettra de resserrer le lien entre le peuple et les responsables qu'il se choisit.

Face aux avantages du quinquennat, une critique pertinente porte sur l'ampleur de la réforme : pourquoi limiter la révision à la seule durée du mandat présidentiel ? Pourquoi ne pas engager en même temps les autres réformes qu'exigerait une modernisation complète de notre démocratie ? Intellectuellement, cette critique est fondée. C'est d'ailleurs elle qui motive l'attitude d'abstention d'une formation de la majorité. Mais cette critique se heurte à un obstacle politique. Car dans le contexte actuel, ajouter d'autres réformes au quinquennat nous condamnerait -compte tenu de la prise de position du Président de la République- à n'avoir ni réformes ni quinquennat. Alors, à ceux qui se plaignent du quinquennat " sec " et que tenaille la soif de changements institutionnels, je dis : " un peu de patience, vous obtiendrez le quinquennat aujourd'hui et - j'espère bien - les réformes demain... ".

Voilà pourquoi nous sommes favorables, depuis longtemps et avec constance, au quinquennat. Celui-ci est un engagement ancien du Parti socialiste. Il faisait partie de mon projet pour l'élection présidentielle de 1995. En 1997, il figurait dans notre programme pour les élections législatives, qui proposait d'harmoniser la durée de tous les mandats électifs à cinq ans. Je n'ai pas, nous n'avons pas changé de convictions.

Voilà pourquoi nous nous engageons pleinement dans la campagne pour le quinquennat. Voilà pourquoi, le 19 septembre prochain, à Paris, je serai présent à vos côtés, avec le Premier secrétaire, François Hollande, pour une grande réunion publique de mobilisation. Voilà pourquoi, le 24 septembre, nous voterons " oui " au referendum.

Ce débat institutionnel sur le quinquennat s'est accompagné, ces derniers temps, d'une réflexion sur les institutions de l'Europe.

Je suis un Européen convaincu. Je n'ai jamais été, et je ne suis pas partisan de l'Europe des régions. Je pense - et j'ai toujours pensé - que l'Europe est une union de Nations. La Nation reste le lieu où bat le cœur de la démocratie, où s'expriment les solidarités les plus fortes, où se cultive le génie de chaque peuple. L'Europe n'a pas vocation à remplacer les Nations. Elle peut, en revanche, en être le prolongement.

La force de la construction européenne est d'être un édifice sui generis, sans précédent et sans équivalent. Sur cette construction politique inédite, les débats institutionnels tendent trop souvent à plaquer un modèle directement inspiré d'une expérience nationale : le fédéralisme des Allemands, l'État unitaire français. Ces débats sont intéressants et nécessaires. Mais ils ne pourront déboucher durant ce semestre. Cela a été souligné par la très grande prudence de nos partenaires à l'égard des différents projets présentés. Pour ma part, je donnerai ma vision sur le futur de la construction européenne une fois passée la Présidence française, en vue des grands rendez-vous démocratiques.

Pour l'heure, la Présidence française de l'Union européenne est l'occasion pour nous de traiter de dossiers importants et d'infléchir dans un sens conforme à nos valeurs le cours de l'Europe. Nous voulons une Europe plus efficace et plus proche des citoyens : c'est là l'objectif de la réforme des institutions actuellement négociée dans le cadre de la Conférence inter-gouvernementale. Le projet de Charte des droits fondamentaux est lui aussi essentiel. Il permettra en particulier de consacrer les droits économiques et sociaux qui fondent le modèle européen de développement. Nous souhaitons que l'Europe réponde aux préoccupations des citoyens : l'emploi et la croissance, la sécurité alimentaire, la lutte contre la criminalité, la création d'un espace judiciaire européen, l'affirmation d'une politique de la connaissance et de la culture. Les premiers Conseils tenus en juillet par nos ministres ont montré que les propositions de la France rencontrent un écho favorable.

 Au seuil de cette rentrée, le débat sur l'UNEDIC soulève une autre question, celle de la démocratie sociale.
Le Gouvernement y attache beaucoup de prix. Les institutions sociales de la République ont été définies, pour l'essentiel, à la Libération. Il est naturel qu'elles évoluent avec leur temps. La " nouvelle donne " que nous connaissons aujourd'hui - la mutation du travail, le retour de la croissance, la décrue du chômage, les nouvelles technologies - doit concerner aussi les rapports sociaux. Le Gouvernement croit que des évolutions sont devenues nécessaires. Mais celles-ci doivent être conduites dans le respect des principes fondamentaux - je dirai même fondateurs - de la République. La hiérarchie des normes est un de ceux-là, et un des tout premiers. Elle pose la prééminence de la Constitution sur la loi, de la loi sur le règlement, et de manière générale de toutes ces normes sur le contrat. Inverser cette hiérarchie, c'est remettre en cause un des fondements de la République. Nous ne le voulons pas. Certes, nous sommes attentifs aux accords signés entre des partenaires sociaux. Mais fixer un mandat impératif au Parlement, lui dicter à l'avance ce qui doit être la loi, lui enjoindre d'avaliser le contenu d'une convention signée par des organisations professionnelles, c'eût été remettre en cause la souveraineté du législateur qui tire sa légitimité du suffrage universel. Nous ne l'avons pas voulu.

Ces évolutions doivent, pour nous, être sources de progrès social, et non de régression. Nous sommes favorables à des évolutions si celles-ci concourent à consolider et à rénover les droits sociaux ; nous les refusons si elles les fragilisent. Le contrat, négocié par les partenaires sociaux, ne saurait revenir sur le progrès social, garanti par la loi. En ce domaine, la loi n'est pas un carcan ; elle est protectrice, elle peut aussi ouvrir des espaces nouveaux au dialogue social et à la négociation contractuelle. C'est le cas, par exemple, avec les lois sur les 35 heures, qui ont donné naissance à un mouvement, sans précédent, de négociations dans les entreprises.

Or le projet de convention qui nous a été proposé présentait plusieurs graves dangers pour les chômeurs : les conditions de leur indemnisation, leur accès à des offres d'emploi et à des formations qualifiantes étaient remis en cause par l'instauration d'un mécanisme de sanctions susceptible de contraindre ceux-ci à accepter des emplois ne correspondant pas à leur qualification. Le financement de cette convention, de surcroît, était incertain.

C'est pour toutes ces raisons que le Gouvernement a refusé d'accorder son agrément à la convention sur l'assurance chômage signée le 29 juin dernier par les organisations patronales et deux organisations syndicales. Mais attachés à la gestion paritaire de l'assurance chômage, nous souhaitons que des discussions reprennent pour aboutir à un accord le plus large possible. Je suis heureux que les signataires de ce projet de convention s'y soient récemment déclarés disposés. J'espère que pourront être trouvés de nouveaux accords, cette fois plus équilibrés et permettant d'associer tous les partenaires sociaux. Quoi qu'il arrive, le Gouvernement assurera évidemment la continuité de l'assurance chômage.

 J'évoquerai enfin, et ce sera mon dernier sujet politique, la question de la Corse.
Depuis le drame d'Aléria, en 1975, la Corse est agitée de convulsions douloureuses qui ont souvent troublé la prise en compte de questions réelles : le développement économique et social, l'adaptation des équipements aux caractéristiques de l'insularité, la reconnaissance de la spécificité culturelle corse. La violence s'est installée ; assurément celle-ci ne peut se justifier puisque nous sommes en démocratie ; elle est inacceptable mais elle est une réalité, depuis des années, à l'égard de laquelle, au-delà de phases alternées de raidissements proclamés et de négociations secrètes, une sorte de résignation s'était manifestée.

J'ai refusé cette résignation et voulu traiter la question corse globalement et dans toute sa dimension politique. C'est là le sens de ce que l'on a appelé le " processus de Matignon ". Et sur ce processus, je veux être particulièrement net. J'ai lu et entendu des critiques excessives, dont la bonne foi n'apparaissait pas toujours. Je n'ai pas lu ni entendu de propositions qui puissent s'analyser comme d'autres voies de règlement des graves difficultés de l'île.

Face à ces excès, à cette sorte de crispation, et dans le souci d'un débat légitime, il faut rappeler la réalité du processus et s'efforcer de traiter ce problème délicat de façon raisonnée et lucide. La démarche du Gouvernement est claire.

 Elle l'est sur la méthode.

 Elle l'est sur la question de la violence.

 Elle l'est aussi sur les principes de la République.


Notre démarche est claire, tout d'abord, sur la méthode.
Un travail a été mené par le Gouvernement, au grand jour, avec tous les élus de la Corse. Un dialogue précis s'est noué. Il a abouti à des propositions destinées à répondre aux problèmes concrets de la Corse. Le texte finalement arrêté par le Gouvernement a été approuvé à la quasi-unanimité des membres de l'Assemblée de Corse, c'est-à-dire par 44 élus sur 51, de droite comme de gauche. Les réactions en Corse ont été favorables.

Dans un premier temps, cette démarche débouchera sur un projet de loi qui devra être approuvé par le Parlement. Celui-ci prévoira notamment une décentralisation accentuée, un programme d'investissements pour combler les retards d'équipement de l'île, le développement de l'enseignement de la langue corse - dans l'horaire normal des cours mais sans obligation, puisque les parents d'élèves resteront libres de leur choix. Tout ceci, j'y insiste, peut se faire par la loi ordinaire.

Ce n'est que dans un second temps, en 2004 - à la lumière de l'expérience de la mise en œuvre de cette loi, et à l'épreuve d'une paix civile rétablie -, qu'une révision constitutionnelle pourrait permettre de créer une collectivité territoriale unique, et de prévoir un pouvoir d'adaptation législatif local, dans des conditions fixées préalablement et précisément par le Parlement et sous son contrôle. Or, il est évident que cette révision constitutionnelle exigerait un large consensus de la majorité et de l'opposition qui formeront alors la Représentation nationale. Elle devrait d'ailleurs, selon moi, être approuvée par le peuple.

Vous voyez donc qu'il s'agit d'un processus graduel et conditionné, dont chaque étape sera discutée, contrôlée et validée par la représentation nationale.

Il s'agit d'un processus pleinement politique, qui entend conduire les élus de l'île et, au-delà, l'ensemble de la population, à assumer leurs responsabilités.

Il s'agit d'un processus transparent. Tout ce que nous avons fait l'a été ouvertement. Il n'y a eu ni tractations, ni négociations secrètes, ni grandes déclarations masquant de petits arrangements. Il n'y a aucun élément caché. Il n'y en aura pas.

Une telle approche tranche avec certaines pratiques antérieures. On se souvient de ceux qui donnaient des instructions d'indulgence à la Justice. De ceux qui pratiquaient des conciliabules occultes et des négociations secrètes avec les seuls nationalistes. De ceux qui achetaient les trêves. De ceux qui, comme à Tralonca, facilitaient des conférences de presse de clandestins. Mais passons. Ces épisodes déplorables sont connus.

Notre démarche est claire sur la question de la violence. Nous condamnons et combattons la violence. L'État ne renonce à aucune de ses prérogatives, et surtout pas à poursuivre les actes criminels, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent. La Justice et la police peuvent et doivent accomplir totalement et avec fermeté leur mission. Non seulement il n'y aura jamais de prime à la violence, mais notre démarche même est fondée sur la renonciation à la violence. Le processus, pour se poursuivre, suppose la condamnation de la violence politique, puis sa disparition. Le Gouvernement ne cède donc pas à la violence ; il a au contraire proposé un chemin - qui est apparu le seul possible - pour sortir durablement de la violence.

Notre démarche, enfin, est claire sur les principes de la République. Il n'est pas question d'avoir à choisir entre la Corse et la République. Pour la très grande majorité de nos compatriotes Corses, pour les Français dans leur ensemble, pour le Gouvernement, cette question ne se pose pas. Il s'agit de mieux affirmer la place de la Corse dans la République.

Il n'est pas question de transférer un pouvoir législatif qui n'appartient qu'au seul Parlement. Il s'agit de permettre au législateur d'accorder à l'Assemblée de Corse la faculté toujours révocable d'adapter certaines normes au contexte local.

Il n'est pas question de porter atteinte au français, langue de la République. Il s'agit de permettre à une langue régionale, vivante, d'être transmise et de s'épanouir.

Il n'est pas question de distendre l'unité nationale. Il s'agit de prendre en compte la spécificité corse, son histoire, son insularité et les problèmes tout particuliers qu'elle pose depuis plusieurs décennies.

En ce sens, il n'est pas question d'assimiler sa situation à celles d'autres régions françaises. Il n'est pas question de faire de la Corse le laboratoire d'une nouvelle décentralisation de la République. Pour ce qui concerne les nouveaux développements de la décentralisation, que nous avons voulue et mise en œuvre après 1981, la Commission Mauroy achève son travail ; elle rendra très prochainement ses conclusions.

Non, la République, qui est notre bien commun, n'est pas en danger. Non, la Nation, à laquelle nous sommes profondément attachés, n'est pas menacée. Nous pensons, au contraire, que le processus en cours est le meilleur moyen d'inscrire l'avenir de la Corse dans la République. Une République qui a une histoire, qui n'est pas figée dans une rigidité craintive, qui transcende les diversités sans les détruire.

Le Gouvernement va respecter ses engagements. Avec tous les ministres concernés, nous allons préparer dans les mois qui viennent le projet de loi annoncé dans le texte gouvernemental approuvé par l'Assemblée de Corse. Nous verrons si l'évolution de la situation en Corse, d'ici là, en particulier au plan de la paix civile, permet d'engager au Parlement cette première étape.

Cher(e)s camarades,

Dès ma déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, j'ai placé toute l'action du Gouvernement sous le signe du pacte républicain et du retour à l'esprit de la République. Ce n'est ni de ce gouvernement, ni de moi-même, qu'il faut craindre l'effacement des principes de la République.

Mais pour que l'idée de République reste féconde et forte au XXIème siècle, il faut que nous sachions la faire entrer pleinement dans notre temps.

J'ai toujours trouvé factice d'opposer la République à la Démocratie. Pour nous, socialistes, cette distinction ne fonde pas une opposition. Parce que nous sommes socialistes, nous sommes à la fois républicains et démocrates. L'enjeu pour nous, aujourd'hui, est certainement de démocratiser notre République, pour lui donner de la vitalité, pour la rapprocher des citoyens, pour qu'elle prenne plus de sens à leurs yeux.

En vous parlant du quinquennat, de l'Europe, de la loi et du contrat, de la Corse, à travers les projets et l'action du Gouvernement, de quoi vous ai-je parlé, sinon justement de la République ?

Une République vivante, prenant en compte les mouvements de la société et les aspirations des citoyens d'aujourd'hui.

Une République plus démocratique, accordant pour cela plus de pouvoir au peuple, et soulignant mieux la responsabilité de l'élu.

Une République une et indivisible. Mais refusant de confondre unité et uniformité. D'assimiler à l'indivisibilité, l'oubli, le mépris ou la négation de la diversité.

Une République qui s'affirme au sein d'une Europe unie. Mais au sein d'une Europe des Nations, qui respecte l'identité de chacune d'entre elles.

Une République démocratique et sociale. Et c'est la loi, expression de la volonté générale, qui, tout en proposant un terrain favorable au contrat, doit garantir la fidélité au progrès social.

Mes cher(e)s camarades,

La République reste inachevée tant que des inégalités sociales divisent les citoyens qui la composent. Lorsque le lien social est mis à mal, la cohésion nationale est menacée et la République souffre. C'est alors qu'elle perd de son sens aux yeux du citoyen.

C'est cette conviction qui inspire notre volonté d'intégration et d'approfondissement du lien social, qui anime nos choix économiques, fiscaux et sociaux.

J'en viens ainsi
aux dossiers économiques
et sociaux de cette rentrée.



 Le cœur de notre politique a été dès le début, reste aujourd'hui et restera jusqu'au terme de la législature une action volontariste contre le chômage.
L'emploi est notre priorité absolue et le restera. L'an passé, ici même, j'avais estimé que le retour au plein emploi était, à dix ans, une perspective devenue crédible. Depuis, la baisse du chômage s'est accélérée. Avec 9,7 %, la France connaît son plus bas taux de chômage depuis huit ans. En trois ans, l'économie française a créé 1.285.000 emplois. C'est là un succès sans précédent depuis que les statistiques existent. Dans ces trois années, 800.000 chômeurs ont retrouvé du travail. Les jeunes et les chômeurs de longue durée bénéficient massivement de ce mouvement. La France est aujourd'hui un des pays de l'Union européenne où le chômage baisse le plus vite, et cela alors même que notre population active continue d'augmenter. De ces bons résultats sur le front du chômage, nous tirons une seule conclusion : nous devons continuer à nous battre pour que le chômage recule plus encore.

Aujourd'hui, l'économie française s'appuie sur une croissance forte et solide. Nos entreprises sont devenues plus compétitives. Dans la même conjoncture internationale, avec la même monnaie - l'euro - et les mêmes taux d'intérêt, la France fait mieux que ses principaux partenaires.

Ces résultats meilleurs, nous les devons donc pour une bonne part à la stratégie économique et sociale que nous avons conduite depuis 1997. Nous avons réussi à sortir de cette espèce de léthargie économique dans laquelle la France était plongée. Nous avons rétabli la confiance et retrouvé la croissance. Nous n'avons pas opposé l'économique au social, mais montré que l'efficacité économique et le progrès social doivent et peuvent avancer de concert.

Nous avons changé de régime de croissance : jamais celle-ci n'a été autant créatrice d'emplois. Un véritable choix collectif a été fait avec la réduction du temps de travail. Sous l'impulsion et avec le soutien financier de l'Etat, les accords négociés par les salariés et les chefs d'entreprise ont fait le choix de l'emploi. Les 35 heures - qui concernent désormais plus de la moitié des salariés français -, c'est du travail pour les chômeurs, du temps libre pour les salariés, de la croissance pour tous les Français. Nos adversaires nous accusaient, avec la réduction du temps de travail, de vouloir " partager la pénurie ". Nous sommes au contraire en train de partager la croissance et la prospérité. Créer des emplois pour les chômeurs, diminuer le temps de travail tout en préservant l'augmentation du pouvoir d'achat de tous les Français, moderniser les entreprises et améliorer leur compétitivité : n'est-ce pas là une assez bonne définition du progrès économique et social ?

Dans ce contexte, les critiques relatives à une prétendue stagnation du pouvoir d'achat sont infondées. Depuis 1997, la masse salariale augmente trois fois plus vite que sous les gouvernements Balladur et Juppé et les salaires individuels augmentent deux à trois fois plus vite que sous ces mêmes gouvernements. Le pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages a crû de près de 3 % alors qu'il stagnait avant 1997. Depuis 1997, la hausse du pouvoir d'achat a donc profité à tous, et en particulier à ceux qui en avaient le plus besoin : 800.000 chômeurs de moins, ce sont autant d'hommes et de femmes qui ont acquis un vrai revenu stable et donc du pouvoir d'achat ; ce sont autant de familles qui abordent cette rentrée en ayant retrouvé l'espoir ; ce sont autant de citoyens pour qui le mot " République " reprend du sens.

Conformément à nos engagements pris au mois de juin 1997, c'est pour rendre du pouvoir d'achat aux Français que nous avons engagé une baisse des impôts, sans précédent elle aussi.

 Notre stratégie fiscale vise en effet à mieux partager les fruits de la croissance.
Parce que nous avons su retrouver le chemin d'une croissance forte, nous avons pu engager la baisse des impôts tout en réduisant les déficits et en confortant nos services publics.

Pour nous, la baisse des impôts doit être un instrument au service de la justice sociale. Elle doit soutenir la croissance, faciliter le retour à l'emploi, encourager l'initiative et l'innovation. Depuis trois ans, notre politique fiscale est pleinement conforme à ces objectifs.

Nous avons d'abord rééquilibré les prélèvements, qui pesaient trop lourdement sur le travail, pas assez sur le capital, et pénalisaient l'emploi. Ce fut le sens du transfert des cotisations sociales vers la CSG, de la réforme des cotisations patronales, de l'alourdissement de l'ISF.

Nous avons ensuite allégé la fiscalité indirecte, qui touche indistinctement tous les ménages. D'ores et déjà, les baisses successives de la TVA décidées par le Gouvernement ont effacé l'impact de l'augmentation de deux points décidée par le Gouvernement Juppé.

Enfin, nous avons engagé dans le collectif budgétaire du printemps dernier la première étape de l'allégement des impôts directs des ménages, à travers la taxe d'habitation et les premières tranches de l'impôt sur le revenu.

Parce que les résultats de notre politique économique le permettent, parce qu'il est légitime que les Français bénéficient d'un juste retour de la croissance, le Gouvernement a décidé de poursuivre et même d'amplifier la baisse des impôts. C'est pourquoi il a décidé 120 milliards de francs d'allégements sur les trois prochaines années, qui s'ajoutent aux 80 milliards de francs déjà décidés en 2000.

Tous les Français, et en particulier les classes populaires, bénéficieront d'une baisse significative de leurs impôts par l'allégement de l'impôt sur le revenu, de la CSG, et par la suppression de la vignette. Par ces décisions, nous voulons également encourager le retour à l'emploi de ceux qui étaient pénalisés par notre système fiscal. Nous voulons aussi que les classes moyennes, qui contribuent par leur travail et leurs capacités d'innovation à la croissance actuelle, puissent bénéficier des fruits de leurs efforts.

C'est aussi le sens que nous donnons aux mesures prises en faveur des entreprises, dont l'efficacité et la compétitivité constituent un atout essentiel pour notre croissance. Je pense en particulier à la création d'un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les plus petites d'entre elles, qui sont souvent les plus dynamiques et les plus créatrices d'emplois.

Le Gouvernement souhaite également atténuer la ponction sur le pouvoir d'achat opérée par la forte augmentation du prix des produits pétroliers. On le sait : l'État est totalement étranger à cette flambée des prix. Au contraire, en 2001 et pour la troisième année consécutive, la taxe sur l'essence sans plomb n'augmentera pas. Le rattrapage de la fiscalité du gazole sera suspendu l'année prochaine. En outre, l'État neutralisera les effets de la hausse du pétrole sur ses recettes fiscales. Par ailleurs, le Gouvernement est prêt à des mesures spécifiques pour les secteurs les plus en difficulté -je pense tout particulièrement à la pêche et au transport routier. Enfin, et nous considérons que c'est une priorité, nous avons décidé de réduire la taxe sur le fioul domestique afin d'alléger la facture de chauffage des ménages et d'aider les agriculteurs.

Au total, notre choix en faveur de la baisse des impôts s'inscrit pleinement dans notre stratégie économique et sociale. Elle est d'abord et avant tout un instrument au service du progrès économique et de la justice sociale.

Mes cher(e)s camarades,

La République ne reconnaît que des citoyens égaux, quels que soient leur origine, leur religion ou leur sexe. C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans une action vigoureuse de lutte contre les discriminations et pour l'accès de tous à une pleine citoyenneté. C'est pourquoi le Gouvernement a fait de l'égalité effective entre les femmes et les hommes une priorité de son action et met en œuvre une politique féministe. Etre socialiste, c'est aussi être féministe.

Nous défendons, tout d'abord, le premier droit des femmes : la maîtrise de leur corps. La loi sur l'interruption volontaire de grossesse, qui date de 1975, doit être adaptée. Un projet de loi sera présenté dès le début du mois prochain au Conseil des ministres, qui prévoira l'allongement du délai légal de l'IVG de dix à douze semaines. Pour les mineures, qui connaissent souvent les situations les plus dramatiques, il pourra être suppléé à l'absence d'autorisation parentale. Dans le même esprit, le Gouvernement apportera son soutien à une proposition de loi socialiste permettant la délivrance, de façon maîtrisée, de la " pilule du lendemain " en milieu scolaire. L'information sur la contraception - après la grande campagne lancée au début de cette année - sera poursuivie.

Nous mettons en œuvre, ensuite, une conception renouvelée de la citoyenneté. La République n'est pas accomplie tant que les femmes n'y occupent pas toute la place qui leur revient. Notre principe est donc la parité. Et la parité, je l'ai dit et le maintiens, c'est " 50-50 ". Dès les prochaines élections municipales, qui verront la première mise en œuvre de la parité, le visage de notre démocratie se sera, grâce à nous, considérablement féminisé.

Nous recherchons, enfin, une véritable égalité professionnelle. La croissance forte et le reflux du chômage sont des facteurs favorables pour que les femmes qui le souhaitent puissent travailler. Mais cela ne suffit pas : il faut que les femmes puissent progresser sur le marché du travail dans les mêmes conditions que les hommes, qu'il s'agisse du choix du métier, du salaire, de l'accès à la formation et aux responsabilités. Il y faut beaucoup de volonté. Et, parce que tout est lié, il nous faut continuer à conduire une politique familiale féministe. Tout doit être fait pour soulager les femmes qui trop souvent assument, encore aujourd'hui, l'essentiel des charges du quotidien et pour leur permettre de concilier vie familiale et vie professionnelle.

En poursuivant nos réformes, nous voulons améliorer la vie quotidienne de tous les Français, en leur ouvrant de nouveaux droits. Avant 2001 seront ainsi examinés en Conseil des ministres les projets de loi sur la prestation autonomie, les droits des malades et la société de l'information. Ce seront là aussi de grandes avancées. D'autres projets seront soumis au Parlement dans les prochains mois : transparence et sécurité nucléaire, révision des lois bioéthiques, réforme du droit de la famille, modernisation sociale... Nous aurons l'occasion d'y revenir plus en détail lors des Journées parlementaires qui se tiendront à Lyon les 25 et 26 septembre.

Mes cher(e)s camarades,

Le moment est venu pour moi de conclure. Je le ferai en évoquant deux rendez-vous démocratiques importants.

Le premier de ces rendez-vous est notre congrès, qui se déroulera à Grenoble au mois de novembre prochain. Il revêtira d'autant plus d'importance qu'il sera le dernier avant les grandes échéances électorales de 2002. Vous savez que je suis attentif à la vie de la gauche plurielle ainsi qu'à chacune de ses composantes ; naturellement, je suis particulièrement attaché à tout ce qui fait la force du Parti socialiste. Aussi, je me réjouis, qu'après trois années d'action gouvernementale, notre parti, môle de rassemblement du camp de la réforme et pôle de cohérence de notre vie politique et sociale, demeure la première formation par son importance électorale, sa bonne image et son intervention dans le débat des idées. Il a une place importante dans tout le pays à travers l'action de ses élus et de ses militants ; il joue un rôle décisif au Parlement par le soutien et l'enrichissement de la politique gouvernementale. Au cours de ces trois ans, il a activement contribué, je le mesure bien, au succès du Gouvernement. Je souhaite qu'à Grenoble le parti approfondisse sa réflexion sur les attentes de nos compatriotes et sur l'avenir de notre pays. Le Gouvernement a besoin de vos propositions. C'est notre Premier secrétaire, François Hollande, qui aura à animer ce congrès. Le parti connaît son talent, sa bonne humeur et son brio, son autorité. Les liens multiples de convictions et de travail qui existent entre François et moi-même, entre les ministres du Gouvernement et les principaux responsables du parti, sont gages d'une bonne politique et de succès futurs au service du pays.

Le second rendez-vous, ce sont les élections municipales, en mars 2001. Ces élections suscitent toujours de l'intérêt chez les Français. Elles représentent un enjeu politique important. Nous ne pourrons l'emporter qu'ensemble. Je lis ici où là que la gauche pourrait gagner telle ou telle ville. Ne cédons pas à l'enthousiasme. Battons-nous sur le terrain. Car rien, jusqu'au dernier jour, n'est joué. Et d'abord parce que la droite, même désunie, même dénuée de projet au plan national, même destabilisée par les querelles de personnes, reste puissante au plan local et présente dans les urnes. Elle va chercher en outre à recycler une partie de l'extrême-droite en crise. Déjà se nouent, à couvert ou sans honte, des alliances du type de celles des dernières élections régionales. Soyez vigilants. Soyez toutes et tous mobilisés : élus, candidats, responsables, militants et sympathisants. J'appelle la gauche plurielle à l'union, dans le respect de chacune de ses composantes. Tant mieux si cette union se réalise dès le premier tour. Ailleurs, que tout soit fait pour le rassemblement au second tour.

Mes cher(e)s camarades, lors du premier discours que je prononçais ici en tant que Premier ministre, en 1997, je vous disais que nous pouvions être fiers de notre victoire. Aujourd'hui, après trois années de travail, j'ai envie de vous dire : nous pouvons être fiers de ce que nous réussissons ensemble. Nous savons que beaucoup reste à accomplir. Contre le chômage et la précarité, pour la justice sociale, pour la sécurité, pour une croissance durable, pour la qualité de notre cadre de vie, pour l'approfondissement de notre démocratie. C'est dans cette conviction que nous puiserons la volonté de continuer, ensemble, et avec nos partenaires de la majorité plurielle, à forger l'avenir de la République.