Le début d'un nouveau départ
Congrès de Dijon - 17 mai 2003

Discours de Henri Emmanuelli, co-animateur du courant Nouveau Monde
Tribune du Congrès de Dijon


 
Mes chers camarades, bonjour.

Mes chers camarades, après le choc du printemps 2002, dans lequel nous continuons à percevoir pour notre part une fracture politique là où d’autres ne veulent voir qu’un accident électoral, nous voici parvenus dans la dernière phase de notre congrès. Désormais, a été dit, le débat a eu lieu et les militants et les militants ont tranché, du moins pour ce qui concerne nos instances internes.

Ce débat, vous le savez, nous l’avons souhaité avec une certaine ardeur parce que nous restons convaincus qu’au-delà du bilan positif du gouvernement de Lionel Jospin, nous avons souffert d’un manque de clarté ou fait preuve d’un certain nombre d’ambiguïtés sur certains sujets qui ont éloigné de nous ou tenu à distance une partie de l’électorat de gauche qui nous a fait défaut. Ce fut le cas sur la politique fiscale qui intègre, nous le savons tous, automatiquement la problématique de la redistribution et celle du niveau de l’action publique ; cela a été le cas sur la défense du service public, sur la prime à l’emploi et l’introduction, par le biais de cette dernière, du principe anglo-saxon de discrimination positive, pour ne rappeler que quelques exemples dont Alain Vidalies a fait hier un examen plus complet à cette tribune.

Je ne sais pas si le débat qui a eu lieu et qui se poursuit, et qui trouvera son épilogue en commission des résolutions, aura permis de lever toutes les ambiguïtés. Pour être tout à fait franc même, je ne le crois pas, mais je constate néanmoins que sur certains points, et non des moindres (je pense à la conversion de la majorité au fédéralisme européen, par exemple), nous avons quand même, et c’est normal, bien progressé. Je pense surtout qu’en toute hypothèse, la discussion ne s’arrêtera pas, aussi bien entre nous qu’avec les autres composantes de la gauche, ou avec le mouvement social tout entier, surtout lorsqu’il s’ébranle avec la force et la détermination qui a été la sienne tout au long de cette semaine pour la défense de notre système de retraites, et qui à mon humble avis n’est pas étrangère à la tonalité de certains discours aujourd’hui.

Car à l’évidence, mes chers camarades, l’enjeu de ce congrès ne se limite pas à des considérations internes sur l’unité ou la stabilité de notre parti qui n’ont en réalité jamais été mises en cause, ni à des regroupements ou à des stratégies internes qui n’intéressent finalement que nous. Nous le savons tous, l’intérêt et l’ambition de ce congrès se doivent d’embrasser de plus vastes horizons au-delà des murs de cette salle. D’abord parce que, après une année de gouvernement de la droite, les dégâts commencent à être importants. Nous le constatons toutes et tous sur le terrain, la situation économique et sociale se dégrade rapidement pendant que le taux d’épargne, c’est aberrant, monte au-delà du raisonnable. Notre rassemblement de Dijon doit marquer le début d’un nouveau départ, d’un véritable basculement de notre parti, de nos militants, de nos élus dans la résistance aux tentatives répétées et cyniques de la droite d’ajouter aux effets négatifs de la conjoncture sa volonté de détruire le modèle social français dans le droit fil du schéma qu’avait concocté le MEDEF sous la gauche et que la droite s’efforce de mettre en œuvre.

Qu’il s’agisse de l’emploi, des retraites, de la Sécurité sociale, des finances publiques, de la protection des plus faibles et des exclus, ce gouvernement frappe et il frappe fort et il frappe durement, convaincu d’avoir été choisi par les Français pour libéraliser, pour faire du tchatcherisme, alors qu’il n’a été élu que par défaut.

Aux côtés du mouvement social qui s’organise avec courage et détermination, et qui fait qu’aujourd’hui, nous avons eu le plaisir et la joie d’accueillir ici le responsable de la CGT, ce qui m’a fait, pour ce qui me concerne, très chaud au cœur, nous devons mobiliser toutes nos forces et parler fort et clair de notre soutien, de nos propositions, de nos engagements pour l’avenir. Et je reprends à mon compte la suggestion qui a été faite aussi par Isabelle Thomas ainsi que par Arnaud Montebourg, Julien Dray et d’autres, que ce congrès, avant, François, de se disperser, vote une motion de soutien, brève, simple, claire demandant le retrait du projet de M. Fillon et demandant le retrait des décrets de M. Ferry. Je ne sais pas s’il y aura ou s’il n’y aura pas synthèse, mais je sais que là-dessus, mon cher Premier secrétaire, il n’y aura pas d’ambiguïté.

Nous opposer, c’est donc notre premier devoir et cela doit être la véritable marque de notre retour. Ensuite, nous devons collectivement repartir à la conquête de l’électorat perdu et nous engager sincèrement dans la reconstruction d’un horizon collectif susceptible de correspondre à la fois aux attentes du peuple de gauche, mais aussi aux aspirations d’une majorité de Françaises et de Français. Si on veut bien oublier les caricatures, les stigmatisations faciles, les adjectifs érodé qui opposent le temps d’un congrès les faux révolutionnaires à pied ou à bicyclette, aux faux contre-révolutionnaires, à pied ou en voiture, en passant pour toute la gamme des étiquettes, convenant que ce ne sera pas facile. D’abord parce que nous vivons dans un monde unipolaire, dominé par le néolibéralisme anglo-saxon, dominé par la puissance militaire américaine, qui, comme nous le rappelait hier Hubert, a mis un terme à la période du multilatéralisme et affiche aujourd’hui sans vergogne une politique de rapports de force tout en reconnaissant le droit de dire le bien et le mal.

Ensuite, parce qu’une telle construction n’a de sens qu’à l’échelle européenne et que l’élargissement sans approfondissement institutionnel préalable vient compliquer singulièrement l’exercice, que l’égalité dans la liberté, comme disait hier à cette tribune notre camarade Borel, n’est pas forcément majoritaire en Europe. Enfin, parce que, à l’intérieur même de la social-démocratie, il existe deux lignes, deux approches différentes de l’avenir du socialisme, du véritable contenu du réformisme : l’une fondée sur l’affectation implicite, sur l’accompagnement du libéralisme économique, sur la résignation au caractère irréversible de la mondialisation libérale, alors même que le système fait tous les jours la démonstration de ses limites et de ses dangers. L’autre récusant non pas, comme on le dit caricaturalement, l’économie de marché pour la remplacer par le Gosplan, mais affichant clairement le refus d’un certain nombre de valeurs et de réalités consubstantielles à la logique de l’économie de marché ou à celle du profit. Il s’agit de la brevetabilité du vivant, de la marchandisation du savoir, de la contestation du service public ou d’autres valeurs inhérentes à la gauche. On a beaucoup parlé de laïcité dans cette salle aujourd’hui. Alors oui, sur ces sujets-là, je m’excuse, mais l’ambivalence n’est pas possible et il faut des ruptures franches et claires. Feindre de l’ignorer, prétendre en permanence, concilier sur tous les sujets l’eau et le feu, c’est cultiver les illusions qui virent ensuite à l’aversion.

C’est ce débat qu’il faut mener, mes chers camarades, sans dogmatisme mais aussi sans faux-semblants. Cet exercice de réflexion et de reconstruction, nul ne peut prétendre qu’il sera simple, qu’il sera facile, car reconquérir aujourd’hui une partie des catégories populaires perdues, dans un projet qui soit aussi celui des classes moyennes implique de nouveaux compromis, de nouvelles solidarités, de nouvelles modalités et beaucoup de pédagogie. La sécurité dans la vie et pas seulement dans la rue, la réconciliation de catégories populaires avec l’idée de progrès qu’elles ont appris à redouter parce que le concept de réforme a été dévoyé pour dissimuler des régressions sociales. Et là je voudrais dire à Dominique que j’écoutais ce matin avec beaucoup d’attention, qu’il n’est pas exact que le réformisme des socialistes soit une affaire récente et qu’elle ne remontrait pas au congrès de Tours. Nous sommes des réformistes. Le problème que nous avons avec certaines catégories populaires, c’est que depuis quelques années, alors qu’historiquement réforme signifiait mieux ou plus, le mot réforme a pris une autre signification qui signifie le plus souvent moins ou pire.

Et c’est la raison pour laquelle le réformisme a été disqualifié. Cela ne veut pas dire que la révolution a été réhabilitée, cela veut dire qu’il faut réhabiliter le réformisme, le vrai, et ne pas opposer, comme je l’ai entendu ce matin, par exemple la redistribution au socialisme de production. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? S’apercevrait-on, en 2003, que c’est au moment où l’on produit la richesse qu’il faudrait réduire son partage ? Découvrirait-on tout d’un coup, à la tribune d’un congrès du Parti socialiste, ce que veut dire politique salariale ? J’avoue que j’ai écouté avec beaucoup d’attention, mais sachant qu’il s’agissait d’un professeur, j’étais un peu perdu.

Il faudra aussi, mes chers camarades, des rééquilibrages nécessaires entre individus et collectivités, entre privé et public, entre intérêts particuliers et intérêt général, c’est-à-dire autant de chantiers qui nécessitent toutes nos compétences réunies, toutes nos imaginations confondues. De surcroît, notre conviction, nous l’avions déjà dit au congrès de Grenoble, c’est que ce projet alternatif est indissociable au plan national comme au plan européen d’un véritable approfondissement de la démocratie. Si nous avons été prématurément fédéralistes, c’est parce que nous sommes persuadés que c’est le seul moyen d’établir de véritables liens de responsabilité et donc de légitimité démocratique à l’échelle d’un continent. Jugée hier irréaliste, cette ligne est aujourd’hui devenue celle du parti tout entier, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, parce que nous sommes profondément convaincus que la capacité de l’Europe à favoriser et à développer son modèle social sera indissociable de son caractère démocratique.

Certes, j’ai bien entendu ce que disait hier notre camarade Hubert Védrine à propos de l'Europe, et ce qu’a repris sous une autre forme notre camarade Gilles Savary à propos du fédéralisme, sur la contradiction qui existerait entre notre choix fédéraliste et le contexte politique libéral qui prédomine sur notre vieux continent. C’est vrai, mes camarades, qu’elle existe, mais qu’il me soit permis de faire remarquer que c’est la même problématique que celle qui a divisé les socialistes au siècle dernier sur la question de la participation ou de la non-participation aux instances de la démocratie représentative. Les craintes et les arguments étaient les mêmes. Et le pari fait sur la démocratie s’est avéré, nous avons toutes et tous fait le bon choix. Alors continuons dans cette voie.

De même, nous sommes persuadés que l’autonomie de l’Europe, son existence en tant que puissance, sa capacité à développer ses propres moyens de défense et d’action pour peser sur le destin du monde, sans doute à partir d’un noyau cohérent mais résolu de pays, ne pourra pas se faire sans le soutien puissant des opinions publiques concernées. Et je le dis avec gravité, mes chers camarades : après avoir entendu, moi aussi, parler de populisme de manière un peu inconsidérée, je le dis avec gravité, si l’on continue à vouloir faire l’Europe par-dessus la tête des peuples, nous allons vers de graves échecs, voire vers des situations dangereuses. Vouloir, comme nous le souhaitons, que le peuple soit consulté sur les grands choix qui concernent et conditionnent son avenir n’est pas une forme de populisme. Oui c’est du socialisme, c'est tout simplement de la démocratie, mes chers camarades. Ce n’est pas, en tout cas, le discours que nous tenons pendant les campagnes électorales.

Passer à l’offensive contre la droite, reconstruire une espérance collective implique aussi que nous retrouvions les chemins du rassemblement sans laquelle, nous le savons bien, cela a été dit et redit à cette tribune, la gauche restera inapte à concourir pour l’exercice du pouvoir. Des hypothèses sont avancées ici et là, les grands partis, les fédérations, les confédérations sont évoquées explicitement ou implicitement. Quant aux conversions, notre conviction est plutôt que la réponse résidera dans une dynamique plutôt que dans une formule institutionnelle. Parvenir à mettre en place les modalités d’une réflexion commune, par grands thèmes, par grands sujets sera sans doute le meilleur moyen de remettre en route un processus sans lequel, nous le savons, nous n’avons pas d’avenir. Un mouvement dans lequel nous nous devons der faire entrer un maximum de partenaires potentiels, sans oublier la gauche syndicale et associative avec laquelle le dialogue doit être permanent. Là encore, les choses ne seront pas simples, mais la raison l’emportera, si nous savons porter nos regards au-delà des salles où nous nous réunissons.

Il va sans dire que pour nous, ce rassemblement ne peut être que celui de la gauche et non l’avènement d’une troisième voie qui ressemble étrangement à sa grand-mère, la troisième force. Il y aurait évidemment beaucoup d’autres sujets à aborder, mais il me faut conclure et dire un mot sur une question qui n’est pas des plus exaltantes mais qui fait partie de nos obligations, je veux parler de la synthèse ou de la non-synthèse. Certes, il en sera décidé ce soir à l’occasion de la commission des résolutions qui en décidera, mais ce que je voudrais dire à ce stade, c’est que, par nous-mêmes, nous devons être préoccupés par le regard que l’on portera sur nous. Qu’est-ce qui est le plus utile, le plus porteur pour le Parti socialiste ? Est-ce que c’est, et je pose la question, publiquement, qu’il est une expression monolithique ou qu’au contraire il cultive en son sein une certaine diversité ? Vous l’aurez compris, j’aurais plutôt quelques penchants sur la seconde solution. Mais je n’ai pas d’aversion non plus pour la première, à la condition qu’elle n’implique pas de reddition conceptuelle ou idéologique.

A vrai dire, mes chers camarades, si j’avais toute latitude pour choisir librement sans responsabilités, ce n’est pas avec vous que je ferais synthèse, c’est avec les électeurs et les électrices perdus que je ferais synthèse, avec la rue, comme le disait ce matin Jean-Luc Mélenchon, avec tous ces cortèges qui s’ébranlent qui, je l’espère, vont grossir et parmi lesquels nous figurerons. Merci.



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