Urgence sociale

Pierre Larrouturou

 Contribution générale au congrès national du Mans présentée par Pierre Larrouturou (juillet 2005).

 

« Je ne suis pas encore totalement pessimiste.
Aucune catastrophe n’est anticipée
dans les 6 à 9 mois à venir
. »
François Bourguignon,
Chef économiste de la Banque Mondiale
Les Echos 07/04/2005

Le diagnostic que porte François Bourguignon sur l’économie mondiale résume assez bien la situation : « aucune catastrophe n’est anticipée dans les 6 à 9 mois à venir » mais tout le monde sent bien qu’on va dans le mur. Tout le monde sent bien qu’on joue avec le feu, que tous les problèmes qu’on a laissés s’accumuler depuis 20 ou 30 ans menacent de faire système, de faire boule de neige et de provoquer une crise de très grande ampleur.

Crise du travail, crise du lien social, crise de l’éducation et de la transmission, crise de la démocratie, crise de la construction européenne, crise monétaire et crise financière mondiale, crise énergétique et crise écologique, crise du sens… Après 30 ans de crise, notre pays ne va pas bien. Et il est assez probable que la situation va empirer si nous ne sommes pas capables très vite de corriger le tir, si nous ne sommes pas capables très vite d’inventer du neuf !

La crise sociale (chômage, précarité, stagnation des salaires et baisse des retraites) est l’aspect le plus visible de la crise. L’indicateur officiel du chômage (2 486 000 chômeurs au 31 mai) n’est que la partie émergée de la précarité qui ravage notre pays. Si l’on tient compte des chômeurs cherchant - ou acceptant - des emplois en CDD, à temps partiel ou en intérim et des plus de 55 ans dispensés de recherche d’emploi, le total des 8 catégories d’inscrits à l’ANPE dépasse les 4 200 000. Plus d’un million d’adultes survivent avec le RMI et des millions n’ont que des emplois précaires. CDD, intérim, temps partiel subis… 12 % des salariés ont un salaire inférieur au SMIC (Insee). 3 400 000 salariés sont en dessous du seuil de pauvreté, dont 80 % de femmes !

1 salarié sur 8 a un salaire inférieur au salaire minimum !
La multiplication de ces emplois précaires est humainement une catastrophe. Aujourd’hui, pour des millions d’hommes et surtout de femmes, la vie est une alternance de périodes de chômage et de périodes de précarité : la galère à durée indéterminée… Les femmes sont les plus touchées par la précarité. 70 % des emplois atypiques sont occupés par des femmes. 16 % des Femmes vivent en dessous du seuil de pauvreté !

C’est le chômage qui fait stagner les salaires. A un tel niveau, chômage et précarité déséquilibrent complètement la négociation entre salariés et entreprises. Dit ou non dit, le « Si t’es pas content, tu peux aller voir ailleurs » remplace souvent toute vraie négociation. Combien de millions de salariés doivent se contenter des conditions de travail et des salaires qui leur sont imposés ? De ce fait, ce qui va aux salaires dans la richesse nationale a considérablement diminué. La part des salaires dans le PIB a chuté de 9% en vingt ans.

9 points de chute, ce sont cette année 150 milliards d’euros qui vont rémunérer le capital alors qu’ils iraient aux salariés si le marché du travail retrouvait l’équilibre de 1980.

150 milliards d’euros
, voilà de quoi améliorer nettement la situation d’un grand nombre de familles… 150 milliards, c’est deux fois le budget de l’éducation nationale, c’est 10 fois le déficit prévisionnel des retraites, 70 fois le budget du CNRS…

Economiste réputé, Thomas Piketty compare cette baisse relative des salaires à la réforme fiscale mise en oeuvre par Pierre Mauroy au début des années 80. Ce fut la réforme fiscale la plus favorable aux salariés. Elle aboutit à déplacer, en faveur des salariés, quelques 0,3 % du PIB.

« La baisse de la part des salaires observée depuis cette date est 30 fois plus importante que l’effet de la réforme fiscale ! » écrit Piketty. Sans un débat à l’Assemblée, sans jamais faire la Une des journaux, la pression du chômage et de la précarité a provoqué l’une des plus importantes contre-réformes de notre histoire !

Pour justifier le retour aux 40 heures, les leaders de la droite mettent en avant la faiblesse des salaires. N’ont-ils pas compris que, tant que le chômage et la précarité resteront à ce niveau, la pression à la baisse sur les salaires continuera de s’exercer ?

Tant que le chômage et la précarité resteront à ce niveau, le stress des salariés continuera d’augmenter. La croissance restera molle. Les ressources de l’Etat, des collectivités et de la Sécu (basées essentiellement sur les salaires et la consommation) stagneront et nous aurons les plus grandes difficultés à financer les services publics et les retraites.

La baisse des retraites a commencé… et va s’accélérer


« Lentement mais sûrement, le pouvoir d’achat des retraités diminue. Depuis 1996, selon l’Insee, l’ensemble des 12 millions de retraités a perdu du pouvoir d’achat : 0,2 à 0,8% par an en moyenne. Les plus touchés sont les cadres du privé (-1,3% par an en moyenne) et l’ensemble des fonctionnaires (- 0,6% par an) » affirmaient Les Echos (24/12/2002). La réforme Balladur va amener à une forte baisse des retraites: la baisse du revenu au moment du départ en retraite sera de 32 % en général (au lieu de 20 % avant la réforme) et de plus de 40 % pour les cadres (source OFCE). Là aussi, la situation des femmes sera souvent plus grave que celle des hommes, à cause de la précarité qu’elles sont très nombreuses à subir tout au long de leur vie active. Et la réforme Fillon-Raffarin incite les salariés à travailler deux ans de plus pour bénéficier d’une retraite à « taux plein » (le taux Balladur…).

Dans l’état actuel du marché du travail, demander aux salariés de travailler deux ans de plus, c’est faire 1 400 000 chômeurs en plus ! Si l’on repousse le départ en retraite de deux ans, en effet, non seulement la population active ne va pas baisser (comme on nous l’a dit si souvent) mais elle va augmenter dans ces proportions. Ce ne serait pas très bon pour les chiffres du chômage 1 et cela n’aurait qu’un effet virtuel sur le financement des retraites si ces 1 400 000 bientôt retraités ne cotisent pas parce qu’ils sont au chômage… On va remplacer des retraités mal pensionnés par des chômeurs mal indemnisés. Quel progrès !

Aujourd’hui, quand les salariés soldent leur retraite (à 61 ans en moyenne), ils sont au chômage depuis 3 ans (en moyenne). Rendre obligatoire deux années de cotisation supplémentaire sans avoir radicalement fait reculer le chômage ne sert à rien. Cela revient à demander aux gens de travailler plus longtemps alors qu’ils manquent déjà de travail. On ne pourra pas sauver les retraites si on ne sort pas du chômage !

Quel que soit le dossier auquel on s’attaque (les retraites mais aussi l’éducation, l’intégration, le logement…), le chômage apparaît comme le principal « facteur bloquant ». La crise que nous traversons est complexe et multiforme mais le chômage est au coeur de la crise. Nous ne pouvons pas nous résigner. Nous ne devons pas baisser les bras. Casser le chômage doit rester notre priorité absolue.


Peut-on compter sur la croissance
pour sortir du chômage ?

 
En voyant l’évolution de la croissance sur les 40 dernières années, il est difficile de croire que « la croissance va revenir » et régler, seule, tous nos problèmes... Comment s’étonner de la mollesse de la consommation quand on compte 4 millions de chômeurs, des millions de précaires et des millions de salariés inquiets pour leur avenir ? Par peur du chômage, par peur de la baisse des retraites, nombreux sont ceux qui épargnent et limitent leur consommation. Si rien de décisif n’est fait pour relancer la consommation, l’Europe va s’installer pour longtemps dans un régime de croissance molle alors que beaucoup de nos leaders attendent de la croissance la solution à la crise sociale et à la crise des finances publiques.

Et cette courbe qui montre un atterrissage progressif de la croissance est encore trop optimiste : nous allons sans doute connaître dans les prochaines années un violent décrochage, une vraie crise économique. Et ce pour trois raisons, au moins :

1- La situation de nos finances publiques

    La dette publique dépasse les 1 100 Mds, 67 % du PIB ! Sans même parler du remboursement du capital emprunté, les frais financiers que nous payons chaque année (les « intérêts ») deviennent une charge considérable : 44 milliards d’euros en 2004, le deuxième budget civil de l’Etat, juste derrière l’éducation nationale. A un tel niveau d’endettement, si nous ne sommes pas capables de changer la donne, l’Etat aura de moins en moins les moyens d’investir dans les infrastructures, l’éducation ou la recherche. La situation de nos finances publiques ne peut, a priori, avoir qu’un effet négatif sur la croissance.

2- La fragilité de la croissance mondiale

    La dette totale américaine est un souci plus considérable encore : cette dette (privée et publique) atteint aujourd’hui 210 % du PIB contre 140 % « seulement » quand a éclaté la crise 1929… « Le dollar est assis sur une bombe atomique. » affirme Daniel Cohen (professeur d’économie à l’Ecole Normale Supérieure). L’ensemble de la croissance mondiale est tirée par une économie assise sur une bombe atomique...

    « Le déficit risque de déboucher sur une chute du dollar, une hausse des taux d'intérêt, des difficultés sur les marchés émergents et, potentiellement, une récession globale. A mon avis, dans les deux ou trois prochaines années, on va assister à un sérieux retour de bâton. » s’inquiète Ken Rogoff, ancien chef économiste du FMI (Libération 14/03/2005).

    En 2004, la croissance du PIB américain a été de 495 milliards de dollars alors que la dette totale progressait de 1 920 Mds 2. Personne ne compare jamais ces deux chiffres mais, quand la dette totale progresse presque 4 fois plus vite que le PIB, ne faut-il pas s’inquiéter ? La dette publique - qui focalise la critique des libéraux - n’est que la partie émergée de l’iceberg : en 2004, la dette fédérale a augmenté de 363 milliards alors que la dette des entreprises augmentait de 420 Mds et que celle des ménages augmentait de 1 020 Mds !

    Comme les taux d’intérêt sont actuellement à un niveau extrêmement faible, les intérêts payés pour cet endettement faramineux ne sont pas excessifs. Mais que se passera-t-il si les taux d’intérêt remontent ? Des millions de familles, étranglées par les frais financiers, devront réduire drastiquement leur consommation…

    « Un crash du dollar pourrait conduire à une panique généralisée. Personne ne sait comment freiner la chute… Nous sommes entrés dans une forêt inconnue, où personne n’a jamais été jusqu’à présent. » explique Newsweek (14/03/2005)

    Pour François Bourguignon, chef économiste de la Banque Mondiale (Les Echos 07/04/2005), « Nous sommes à la merci de la nervosité des marchés. Je ne suis pas encore totalement pessimiste. Aucune catastrophe n’est anticipée dans les 6 à 9 mois à venir. »

    Y a-t-il un miracle anglais ?
    La croissance est plus forte en Grande Bretagne et en Espagne que dans le reste de l’Europe. N’est-ce pas la preuve de l’efficacité du libéralisme ? La dette des ménages anglais représente aujourd’hui 130 % de leur revenu disponible (contre 59 % en France). La dette des entreprises anglaises représente 110 % du PIB (contre 70 % en France). De même, la dette des ménages espagnols a doublé en 6 ans. Les deux pays d’Europe qui sont montrés comme modèle pour leur réussite économique sont, en réalité, dans une situation très fragile.

    L’agence de notation Standard & Poor’s a d’ailleurs inscrit l’Espagne et le Royaume Uni sur sa liste des pays dont le système bancaire pourrait connaître une crise.
    Tous les pays où l’on a mis en oeuvre des politiques libérales ont des taux d’endettement très élevés. Est-ce un hasard ? Non : l’endettement massif est nécessaire au bon fonctionnement d’une économie libérale
    .

    Dans Mes idées pour demain, Michel Rocard cite ce chiffre donné par Robert Reich (Secrétaire d’Etat au travail de Bill Clinton) « Aux Etats Unis, 70 % du supplément de PIB créé depuis dix ans a été accaparé par 1 % (UN POUR CENT) des citoyens ». Comme ces 1 % ne peuvent pas faire 6 repas par jour, une telle inégalité dans la répartition des revenus devrait conduire à assécher la croissance (par défaut de consommation des classes moyennes et des personnes pauvres). A court ou moyen terme, l’endettement des ménages permet de maintenir la croissance malgré un haut niveau d’inégalités. D’autant que des sociétés spécialisées ont développé le crédit aux ménages modestes. Mais que va-t-il se passer quand les ménages anglais, espagnols ou américains devront rembourser, quand la dette sera devenue incontrôlable ?

    Les libéraux ne cessent de critiquer l’endettement public mais encouragent l’endettement privé (Nicolas Sarkozy ne veut-ils pas inciter les Français à s’endetter d’avantage ?). Mais la dette privée est plus dangereuse que la dette publique : quand un Etat est sur-endetté, il diminue ses dépenses mais il ne le fait pas de façon immédiate et brutale. Un Etat a toujours les reins solides. Personne ne peut lui « couper les vivres » du jour au lendemain. Tandis que, lorsque ce sont des familles qui sont sur-endettées et que passe l’huissier, au delà de la souffrance des personnes, l’impact économique est bien plus dramatique : quand des millions de familles américaines ou anglaises devront diminuer drastiquement leurs dépenses, des secteurs entiers seront déstabilisés.

    Quant au Japon, il est lui aussi à deux doigts de la récession.
    Malgré des plans de relance pharaoniques (le déficit de l’Etat est de 6,9 % en moyenne depuis huit ans), la croissance est à peine de 1,1 %, tirée par les exportations vers les USA… L’Etat japonais est sur-endetté et ne pourra pas éternellement assurer ce niveau de dépense. Que va-t-il se passer quand la croissance américaine va décrocher ?

    Après 30 ans de domination des idées libérales, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui est au bord du gouffre. En juillet 2003 déjà, dans l’indifférence générale (les élites économiques ne vont pas facilement reconnaître leurs erreurs) la Banque des Règlements Internationaux, « la banque centrale des Banques centrales », affirmait que le risque d’une déflation mondiale n’avait jamais été aussi important.

    « Aucune catastrophe n’est anticipée dans les 6 à 9 mois à venir.»

3- Le coût de l'énergie

    Le prix de l’énergie risque d’atteindre assez rapidement des niveaux insoutenables à cause de la très forte demande de la Chine et de l’Inde. En 18 mois, le prix du baril est déjà passé de 30 à 60 dollars. En analysant les facteurs qui influencent le prix de l’énergie, la Caisse des dépôts affirme que le prix du baril pourrait dépasser les 300 dollars avant 2015.

    Quand la gauche est arrivée au pouvoir en 1988 et en 1997, le prix du pétrole était très bas. On a même parlé en 1986-88 d’un « contre choc pétrolier », une baisse de moitié des prix du pétrole, très favorable à la croissance. Il est très probable que, en 2007, le prix du pétrole sera au contraire un frein important à la croissance. Patrick Artus, directeur des études à la Caisse des dépôts CDC-Ixis estime même que « la croissance mondiale pourrait s’arrêter à partir du début de la prochaine décennie en raison de la hausse très forte des prix des matières premières énergétiques » (étude du 04/04/2005).

    « Le dollar est sur une bombe atomique » affirme Daniel Cohen.
    « Le crash du dollar provoquera une panique généralisée » prévient Newsweek,
    « Une récession globale » annonce Ken Rogoff, ancien chef économiste du FMI
    « Fin de la croissance mondiale » due au prix du pétrole, pour la Caisse des dépôts...

    Après 30 ans de crise larvée, nos sociétés sont déjà profondément affaiblies, profondément morcelées, usées, démoralisées. Si nous ne sommes pas capables très vite d’inventer du neuf, nos sociétés seront-elles capables de résister au choc qui s’annonce ?

    Il faudrait sonner le tocsin.
    Il faudrait vérifier que tous les instruments de régulation sont disponibles et bien coordonnés. Il faudrait convoquer un nouveau Bretton Woods pour calmer le jeu du côté des monnaies et des échanges commerciaux. Il faudrait créer un impôt européen sur les bénéfices (ou une écotaxe) pour tripler l’effort de recherche (en matière énergétique en particulier) et financer un plan d’action divisant par deux notre consommation d’énergie en 10 ans. Il faudrait donner à la Banque centrale européenne un objectif de croissance. Il faudrait construire, au niveau européen, un nouveau contrat social qui assure un partage de la valeur ajoutée plus juste et plus favorable à la consommation et à la croissance. Il faudrait construire de nouvelles solidarités...

    Il faudrait agir, sans attendre ! Il faudrait cesser les querelles stériles, arrêter les rustines et rassembler nos énergies pour construire du neuf avant que ne se lève la tempête. En serons-nous capables ?

    A-t-on suffisamment conscience de la souffrance de ceux qui sont déjà touchés par la crise sociale ? Tous ceux qui galèrent. Tous ceux qui, à partir du 15 du mois, n'arrivent plus à vivre correctement... La mortalité est trois fois plus forte chez les chômeurs que chez ceux qui ont un travail et elle s’aggrave depuis trois décennies (Insee 2000). La première cause d’échec scolaire est la situation professionnelle des parents - et surtout l’absence de situation ou de stabilité professionnelle des parents (Insee 2001). Le chômage est une maladie mortelle, transmissible aux enfants. Avons nous conscience des conséquences du chômage et de la précarité sur toutes les familles monoparentales (constituées à 80 % par des femmes qui élèvent seules leurs enfants) ? Avons-nous collectivement assez conscience de la gravité de ce qui se passe dans notre pays ? Après 30 ans de crise, ne sommes nous pas devenus, collectivement, un peu insensibles à cette misère qui s’est incrustée dans le paysage de nos villes ?

    A-t-on conscience aussi des conséquences que peuvent avoir les grands désordres qu’on nous annonce ? A-t-on conscience que le pire est sans doute devant nous ? Quelles peuvent être les « difficultés pour les marchés émergents » dont parle pudiquement Ken Rogoff ?

    Le déficit commercial américain (620 Mds $ en 2004) est plus important que le PIB total de l’Inde (560 Mds $) !
    C'est dire à quel niveau de déséquilibre nous sommes parvenus ! Quel impact aura sur l’Asie l’atterrissage de l’économie américaine si l’Europe n’est pas capable de retrouver la voie d’une croissance auto-entretenue, si l’Europe n’est pas capable de devenir un moteur de l’économie mondiale ? La croissance chinoise est tirée essentiellement par les exportations et par les investissements étrangers. La consommation intérieure progresse faiblement.

    Le total des exportations et des investissements étrangers représente aujourd’hui 80 % du PIB chinois ! Que va-t-il se passer si les Etats-Unis (principal débouché et 2éme source d’investissement de la Chine) subissent un atterrissage violent ? Quels seront, en Chine, les effets d’une récession ? Rappelons qu’il n’y a pas de couverture sociale pour les chômeurs en Chine. Les tensions montent entre la Chine et ses voisins (Taiwan, Japon) et le budget militaire de la Chine a doublé depuis 5 ans... Sommes-nous sûrs que ce qui s’est passé en Allemagne entre 1930 et 1945 ne peut pas se reproduire en Chine dans les 20 ans qui viennent ?
« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » affirmait Jean Jaurès. En 1929, la plupart des dirigeants croyaient, de bonne foi, qu'il n'y avait pas de risque économique. Aujourd'hui, chaque semaine ou presque, un économiste important souligne le risque d'une crise systémique. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas...

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »
Paul Valéry

Voilà pourquoi nous avons absolument besoin de l’Europe

Face à de tels enjeux, aucun pays de taille moyenne ne peut agir seul. Nous avons absolument besoin d’Europe, d’une Europe vraiment organisée, vraiment constituée. Une Europe capable d’agir socialement, économiquement, diplomatiquement et militairement. Nous y reviendrons.

Voilà pourquoi aussi il y a urgence à inventer du neuf en matière sociale. Oui, il faut inventer du neuf au lieu de croire sans cesse que « la croissance va revenir » et régler seule tous les problèmes...


Le capitalisme est à un moment clef de son histoire.
Le socialisme est donc, lui aussi, à un moment clef.
Jamais sans doute on n’a connu de tels déséquilibres.
Jamais il n’a été aussi urgent d’inventer de nouvelles régulations.

D’où viendra le sursaut ?
Des Etats Unis ou du Japon ? Non, sans doute pas. Ou alors quand il sera trop tard. Quand la crise aura éclaté. Le sursaut (si sursaut il y a) viendra d’Europe.

D’Allemagne, d’Espagne ou d’Italie ? Non. La gauche allemande va sans doute connaître une lourde défaite aux prochaines élections. Il lui faudra quelques années avant de se reconstruire intellectuellement et de retrouver le pouvoir. En Espagne, la victoire de la gauche aux dernières élections a été pour ses leaders et ses militants une bonne surprise. Grâce au rattrapage des économies européennes « avancées », grâce à la bulle immobilière, aux aides européennes et à un endettement record, l’économie espagnole connaît actuellement une certaine euphorie qui fait qu’il n’y a guère de réflexion sur la nécessité d’un modèle économique alternatif. Il faudra sans doute que la bulle éclate pour que, dans la douleur, la gauche espagnole entame une réflexion de fond sur les questions économiques et sociales. Le sursaut idéologique ne viendra pas non plus d’Italie ni du Royaume Uni...

« Le peuple espère et n’en peut plus d’espérer. Le peuple attend et n’en peut plus d’attendre. » écrivait Pierre Mendès France il y a trente ans.

Oui, le peuple attend. Et c’est vers nous qu’il se tourne. La responsabilité de la gauche française est considérable. Avec l’aide de tous ceux qui le voudront, c’est à nous qu’il revient de réinventer le socialisme. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant que le peuple ne se tourne vers d’autres.


Pour en finir avec le « modèle américain »

 
Qu’ils se l’avouent ou qu’ils se le cachent, nos dirigeants ont souvent en tête un idéal de fonctionnement économique, le modèle américain. Certes, ils en dénoncent les inégalités sociales mais ce système est souvent, de fait, pris comme modèle.

Il ne se passe guère de réunion de la Commission économie du parti sans que l’un de nos leaders (ou l’un de ses éminents conseillers) ne souligne que la France a un retard de croissance par rapport aux Etats Unis. « Aux Etats Unis, le PIB 3 par tête est supérieur de 40 % à ce qu’il est en France... » nous répète-t-on assez souvent. Et chacun de baisser la tête un peu penaud. Personne n’aime qu’on lui dise en public que son « PIB par tête » est plus petit que celui du voisin...

« PIB par tête », ça fait chic. Ça fait propre.
Mais derrière cette expression aseptisée, qu’en est-il vraiment du PIB américain ?
Rattraper le niveau de PIB des Etats unis est-il vraiment un objectif pour notre pays ?

On a dit plus haut à quel point la croissance américaine était fragile (dette totale à 210 % du PIB !). C’est un énorme problème : les Etats-Unis n’auraient évidemment pas ce niveau de PIB s’ils ne pouvaient pas le financer à crédit. Et le système n’est pas durable. Mais, au delà de cette question du financement, quels sont les facteurs qui expliquent que les Américains aient un PIB par tête qui représente 140 % du notre ?

Les dépenses de santé, la consommation d’énergie, les dépenses d’alimentation, les frais financiers, les frais d’avocats, les dépenses de sécurité et les frais d’assurance sont l’explication essentielle du différentiel qui fait l’admiration de nos grands économistes.

Les Américains dépensent deux fois plus que nous pour la santé et cela ne les empêche pas d’avoir une espérance de vie plus faible que nous ! Mais en terme de PIB c’est un apport important : quand nous consacrons 10 unités de PIB à la santé, ils y consacrent 21 unités 4.

La consommation d’énergie est aussi bien plus importante aux Etats Unis : grosses voitures, air conditionné, voyages en avion… La consommation d’énergie par habitant est 2,5 fois plus importante que chez nous ( Source Le Monde - Enerdata).

Les dépenses d’alimentation sont également nettement plus importantes que chez nous mais le taux d’obésité est lui aussi plus important : 64 % des Américains sont en sur-poids et 27 % sont obèses 5. En moyenne, un Etats-Unien consomme aujourd’hui 805 kilos de nourriture chaque année (contre 679 kilos en 1970). Il est bon pour le PIB d’inciter les personnes à manger et à boire dés qu’elles en ont envie. C’est excellent pour le chiffre d’affaires des entreprises d’agroalimentaires, pour ceux qui fabriquent des vêtements pour personnes obèses, pour ceux qui fabriquent des aliments de régimes et des médicaments 6... mais l’obésité est devenue la deuxième cause de mortalité aux Etats Unis (300 000 morts l’an dernier) et sera sans doute devant le cancer dans ce macabre classement d’ici 2010 !

L’an dernier, une des photos qui a le plus frappé les esprits aux Etats Unis (photo primée dans un grand concours) représentait un adolescent de 16 ans, tellement gros qu’il ne peut plus se déplacer et doit rester toute la journée couchée sur son lit... Une photo terrible, insupportable.

Bombardés de publicités qui les incitent à manger (ou à boire des sodas sucrés) dès qu’ils en ont envie, 17 % des jeunes de moins de 20 ans sont obèses aux Etats Unis. C’est très bon en terme de PIB mais est-ce ainsi que nous voulons vivre ?

Le capitalisme n’est pas un humanisme

Dépenses de santé, gaspillage d’énergie, dépenses de sur-alimentation, dépenses de sécurité et dépenses d’assurance, frais financiers (liés à un endettement considérable), frais d’avocats (liés à la judiciarisation de la société)… Quand on analyse le contenu du PIB par tête américain et les différences qui expliquent qu’il est plus important que le PIB français, on ne trouve pas tellement d’occasion d’envier le modèle américain.

Certes, il y a aux Etats Unis un effort plus important en matière de recherche (quand la France consacre 2,3 unités de PIB à la recherche, les Etats unis y mettent 4 unités) et en matière d’éducation (la France ne consacre que 1,1 point de PIB à son enseignement supérieur quand les Etats unis y consacrent 3,2 unités de PIB). Mais, à ces deux exceptions près (certes, non négligeables), l’essentiel du différentiel de PIB entre les Etats Unis et l’Europe tient à des facteurs qui ne semblent pas devoir être imités.
     voulons-nous doubler notre consommation d’énergie ?
     voulons-nous doubler notre consommation de graisse, de viande et de sucre ?
     voulons-nous doubler notre taux d’obésité et nos dépenses de santé ?
Si l’on veut que ce congrès soit réellement un congrès de clarification, il nous faut rompre intellectuellement avec le modèle américain (sans pour autant rejeter en bloc tout ce qui se fait aux Etats Unis ou en Grande Bretagne).

Ce modèle n’est durable ni économiquement, ni écologiquement, ni surtout humainement

Il faut nous mettre face à nos responsabilités et nous mettre au travail pour construire un modèle qui nous convienne mieux et qui convienne mieux aux contraintes de l’époque (contraintes énergétiques et environnementales en particulier).

Il faut tordre le cou à une fausse bonne idée : on ne peut pas compter sur la croissance pour sortir du chômage ! Au bout de trente ans de crise, c’est une erreur fondamentale de croire encore que la solution à la crise sociale viendra de la croissance. Il faut inverser la proposition : c’est en s’attaquant radicalement au chômage et à la précarité que l’on pourra retrouver une certaine dynamique économique.

Pour s’attaquer au chômage, il faut essayer d’en comprendre les causes.

Le chômage est-il vraiment dû à un « manque de compétitivité » ?

L’excédent commercial de la zone euro était l’an dernier de 75 Milliards d’euros. A titre de comparaison, l’excédent de la Chine (dont on admire tant la puissance) était de 28 Mds d’euros seulement.
Malgré la forte hausse de l’euro, l’excédent commercial européen est presque trois fois plus important que l’excédent chinois ! Est-il sérieux de répéter que les 13 millions de chômeurs européens sont dus à un manque de compétitivité ? N’en déplaise au Medef et aux libéraux, le chômage ne s’explique pas globalement par un défaut de compétitivité. Certes, il y a des entreprises qui délocalisent (et c’est toujours un traumatisme pour les salariés et pour les territoires concernés) mais il y a aussi des relocalisations et des investissement de développement sur notre territoire. Certes, les investissements dans le secteur des services sont plus faibles chez nous que chez certains de nos voisins mais, au total, la France est, depuis plusieurs années, parmi les quatre ou cinq pays du globe qui attirent le plus d’investissements étrangers sur leurs territoires.

Comprendre le chômage d'abondance

Nous vivons dans des sociétés de plus en plus riches économiquement. Jamais nous n’avons connu une telle abondance mais jamais non plus nous n’avons connu autant de chômage et de précarité. Comment expliquer ce paradoxe ?

Nous sommes en train de vivre une révolution telle que l’humanité n’en a jamais connue. Alors qu’il avait fallu 140 ans pour que la productivité soit multipliée par deux (entre 1820 et 1960), elle a depuis été multipliée par CINQ. La révolution industrielle du XIXème ou l’invention du travail à la chaîne (en 1917) sont des gains de productivité presque ridicules au regard de ceux réalisés depuis 1960.

C’est une vraie révolution : en deux générations, le niveau d’intelligence collective a considérablement augmenté dans notre pays. Le nombre d’étudiants a été multiplié par 7 ! Des milliards sont investis chaque année dans la formation continue (d’autant plus efficacement qu’on a investi dans la formation initiale). Grâce à la multiplication des robots et des ordinateurs, la productivité du travail humain a progressé de façon inouïe.

La France est l’un des pays du monde qui a la meilleure productivité du travail :
    « J’ai fait un calcul rarement effectué. » explique Jacques Marseille (Professeur à Paris Panthéon Sorbonne (Le Figaro 2/02/2004) « J’ai divisé le PIB français par la productivité du travailleur britannique ou japonais. Avec leur niveau de productivité qui est largement inférieur au nôtre, il nous faudrait 5 millions de travailleurs en plus pour produire la même chose. Autant dire que le chômage ne serait plus un problème… »
C’est un point fondamental. Absolument fondamental pour comprendre l’« exception française » : nous avons une productivité très forte. Les Anglais ou les Japonais (qui ne sont pas des imbéciles) ont une productivité nettement plus faible que la nôtre :
    « Avec le niveau de productivité des Anglais ou des Japonais, qui est largement inférieur au nôtre, il nous faudrait 5 millions de travailleurs en plus pour produire la même chose. Le chômage ne serait plus un problème... » affirme Jacques Marseille, économiste réputé (mais pas réputé très à gauche...)
En un quart de siècle, l’économie française produit 70 % de plus avec 10 % de travail en moins. Depuis 1974, le total des heures travaillées (tous secteurs confondus) est passé de 41 milliards d’heures à 36,9 Mds (Insee). Mais, dans le même temps, la population active disponible augmentait fortement passant de 22,3 à plus de 26 millions de personnes. Le travail nécessaire à l’économie baisse de 10% mais le nombre de personnes disponibles augmente de 18 %. Un écart de 28 % s’est creusé entre l’offre et la demande de travail.

En soi, ces évolutions sont 3 bonnes nouvelles. Jamais nous n’avons connu une telle abondance ! Jamais nous n’avons été aussi efficaces ! Jamais nous n’avons été aussi nombreux capables de travailler ! Mais comme la durée du travail a très peu baissé depuis trente ans (et que la crise amène les uns et les autres à des réflexes de crispation plus que de changement), cette accumulation de bonnes nouvelles aboutit à un scandale, à un non-sens absolu : au lieu de profiter à tous, ce surcroît d’intelligence collective, fruit de l’effort de tous, débouche sur un chômage massif pour certains et sur une stagnation des salaires et un stress croissant pour d’autres.

Paradoxe inexplicable ! Jamais nous n’avons injecté autant d’intelligence dans le système économique, jamais nous n’avons paru si dépourvus d’intelligence pour faire évoluer le système social. Il faut sortir de ce non sens. Il faut mettre fin au scandale. Le dossier du temps de travail doit être réouvert et débattu sans tabou.

Cet écart est en effet la principale explication du chômage. Si, dans le même temps, la durée individuelle du travail avait baissé de 28 %, le chômage serait resté à son faible niveau de 1974. Mais, hélas, notre contrat social est bloqué. La durée du travail pour un emploi normal a très peu baissé : si l’on tient compte des heures supplémentaires, la durée réelle du travail est aujourd’hui de 38,8 heures en moyenne, pour un emploi à plein temps (Insee juillet 2003, avant l'entrée en vigueur des « assouplissement » Fillon.

C’est donc un « partage du travail » assez sauvage qui s’est mis en place : 4 millions de personnes font 0 heure par semaine (les chômeurs) ; 19 millions travaillent plein pot (parfois trop) ; 3 millions sont à temps partiel (via les CDD ou l’intérim).

Dans le même temps, l’espérance de vie a augmenté de 5 ans et l’arrivée sur le marché du travail a été retardée de 3 ans en moyenne. Pour les plus jeunes d’entre nous, il est donc difficile de s’arc-bouter sur le maintien de la retraite à 60 ans. La retraite à 60 ans était légitime en 1971 quand elle est devenue la revendication de nombreux syndicats et partis de gauche. Trente ans après, pour rester fidèles à nos valeurs, pour assurer un bon revenu à tous les retraités, il faut faire évoluer le contrat social. Travailler un peu plus longtemps pour sauver les retraites (et valoriser l’expérience acquise) mais travailler beaucoup moins chaque semaine ou chaque année pour casser le chômage et vivre autrement…

33,7 heures, durée moyenne du travail aux Etats Unis

Une des inégalités les plus choquantes du système libéral est l’inégalité dans l’accès au travail. Aux Etats-Unis, la durée du travail est supérieure à 40 heures pour tous ceux qui ont un bon job. Mais si la durée moyenne (sans compter les chômeurs) est de 33,7 heures (Source Secrétariat d’Etat au travail, 8 juillet 2005), c’est que des millions de salariés n’ont que des miettes de travail. Aux Etats-Unis, il n’y a pas eu de débat ou de négociation sur la RTT. C’est le marché qui répartit le travail : des bons jobs pour certains (40 ou 42 heures par semaine) et pour d’autres des miettes (8 ou 10 heures par semaine)… Comment peut-on faire vivre sa famille avec 10 heures de travail par semaine ? Est-ce ainsi que nous voulons vivre ?

La durée moyenne est de 31,7 heures aux Pays-Bas, de 35,1 heures en Grande Bretagne et de 37,0 heures en France (Eurostat 2004). Tous les pays qui ont des taux de chômage inférieurs au nôtre ont des durées moyennes du travail inférieures à la nôtre.

Vus les gains de productivité réalisés dans toutes nos économies, le débat n’est pas pour ou contre la RTT ? mais plutôt quelle RTT ? RTT organisée par le marché (précarité, stress et concurrence permanente) ou RTT organisée par le débat, le référendum et la négociation ?

Les 4 jours, ça marche !

Plusieurs centaines d’entreprises sont déjà passées à 4 jours : Fleury Michon, Monique Ranou, Mamie Nova (Coop Even) ou Télérama mais aussi des centaines de PME inconnues : une auto école à Rouen, un fabricant de logiciels à Chambéry, un charpentier près de Bordeaux, un laboratoire d’analyses biologiques à Pau, une concession Peugeot dans le Var, un libraire, un chauffagiste et une agence de pub à Paris… A partir de l’effet sur l’emploi observé chez ces 400 pionniers (de taille et de métiers différents), une étude du Ministère du Travail estimait en 1997 qu’un mouvement général vers les 4 jours créerait 1.700.000 emplois en CDI (sans parler des métiers émergents autour du temps libre et de l’impact sur la croissance qu’aurait la création de 1 700 000 emplois et donc le surcroît de consommation de 1 700 000 familles).

Comment financer le passage à 4 jours sans augmenter les coûts de production ?

La source de financement principale est à chercher du côté de l’activation des fonds de l’Unedic. Avant même l’Etat et les collectivités locales, ce sont les caisses de chômage qui sont les premières bénéficiaires de l’effet sur l’emploi d’une RTT massive. Fleury Michon, Mamie Nova, Monique Ranou et toutes les entreprises passées déjà à 4 jours ont créé entre 10 et 15 % d’emplois nouveaux en CDI sans augmenter d’un centime leurs coûts de production (et sans toucher aux plus faibles salaires).

Pour augmenter l’effet sur l’emploi et pour limiter la pression mise sur les salariés, il faut absolument que les exonérations soient conditionnées à des créations d’emplois. « Pas d’exonération sans une baisse effective de la durée du travail. Pas d’exonération s’il n’y a pas 10 % au moins d’embauche en CDI. » tels sont deux des Facteurs Clefs de Succès que devront avoir en tête les négociateurs.

Réorganiser le travail

Les questions d'organisation du travail sont négociées entreprise par entreprise, service par service.

Sous la même étiquette de « 4 jours à la carte », sous la même durée légale de 32 heures, on peut trouver un grand nombre de d’organisations différentes : 4 jours sur 5 (pour la plupart des salariés), 4 jours sur 6 (chez un concessionnaire automobile, ouvert du lundi au samedi), 4 jours sur 7 (dans un hôpital ou un aéroport), alternance systématique de semaines de 3 jours et de semaines de 5 jours (dans une entreprise de transports routiers), 1 mois libre sur 5 (pour des programmeurs informatiques), 1 année sabbatique tous les 5 ans (pour des chercheurs),...

Partager le pouvoir dans l’entreprise

Les actionnaires doivent-ils être les seuls à décider ? Ne doit-il pas y avoir un dialogue avec ceux et celles qui apportent leur intelligence ; leur temps, leur force ? La négociation sur les 4 jours doit également porter sur cette importante question. L’actionnariat salarié n’est pas la solution. Il ne s’agit pas de donner un strapontin aux salariés en leur permettant d’avoir 3 % du capital. Il s’agit de leur donner une vraie place, en tant que salariés. Inspirons-nous de l’Allemagne où le personnel est représenté aux conseils de surveillance, en tant que personnel. La cogestion permet aux salariés de mieux connaître la stratégie de l’entreprise pour pouvoir soit l’infléchir, soit montrer qu’avec une même stratégie industrielle, plusieurs stratégies « Ressources humaines » sont possibles. Pour relancer l’axe franco-allemand et donner consistance à un modèle social européen, la voie d’une cogestion à la française paraît toute indiquée… Le PS devrait en faire un axe majeur de son projet.

La semaine de 4 jours : quel impact macro-économique ?

Patrick Artus, directeur des Etudes économiques à la Caisse des dépôts, a vérifié que le passage à 4 jours (avec le financement que nous proposons) n’a pas d’inconvénient macro-économique : « Patrick Artus a exploré le bouclage macro-économique de la formule Larrouturou. » écrivait Options finance le 15 novembre 1993. « Sa conclusion est formelle : il tient ! Il maintient le potentiel de production, la stabilité des coûts, la stabilité (ou la hausse) du revenu disponible de l’ensemble des ménages. Il n’aggrave pas le déficit public. Ce qui ne présage en rien de sa faisabilité pratique, précise-t-il .» Mais comme 400 entreprises sont maintenant passées à 4 jours, la faisabilité pratique est attestée ! Le chantier est énorme mais il n’est pas dangereux pour notre économie. Le chantier est énorme et beaucoup se sentent désarmés devant un tel chantier mais qui peut croire que l’on sortira de la crise en accumulant les rustines ? Qui ne sent le besoin d’inventer du neuf ?

La semaine de 4 jours, une idée populaire

En 1997, quand la Sofres interrogeait les salariés sur les 35 heures, ils avaient de gros doutes sur l’effet qu’auraient les 35 heures sur l’emploi : 69% des Français pensaient que les 35 heures ne créeraient pas d’emplois (Le Monde 2 octobre 1997) alors que 68 % pensaient que la semaine de 4 jours pourrait créer des emplois (sondage CSA / La Vie 5 mai 1997) et 67 % des personnes interrogées acceptaient de perdre jusqu’à 5 % de salaire en échange d’une journée entière de liberté.

Un nouvel enthousiasme
article de Michel Rocard et Pierre Larrouturou,
Le Monde 21 mai 1998
    Martine Aubry regrettait récemment le manque d'enthousiasme que suscitent les 35 heures. Sans doute faut-il se méfier du travers bien français de la critique systématique. Mais nous sommes nombreux à penser qu'il est possible d'améliorer la loi sur le temps de travail. Lionel Jospin et son équipe ont su rétablir la confiance. L'amélioration de la consommation en est une preuve, mais l'enthousiasme manque encore. Il ne pourra venir que de victoires nettes et durables contre le chômage.

    Il nous faut un objectif mobilisateur. Or, pour beaucoup de salariés, les 35 heures n'ont guère de sens. Comment un camionneur, un cadre ou un employé de banque peut-il faire 7 heures par jour ? On ne va pas fermer l'agence une heure plus tôt ni embaucher quelqu'un pour une heure chaque soir. Dans un nombre croissant de métiers, seule une réduction du nombre de jours travaillés est pertinente. C'est un point essentiel : si les cadres ne peuvent pas s'approprier ce projet, la dynamique restera faible dans les entreprises. Dans certaines entreprises, le passage à 35 heures a élargi le fossé entre les « indispensables » (qui continuent de facto, à faire 45 ou 50 heures) et les « interchangeables » (passés à 35 heures).

    Pour vraiment faire reculer le chômage, il faut aller, sans étape intermédiaire, à une semaine de 4 jours. Même avec plus de flexibilité, même avec des gains de productivité importants, l'entreprise devra nécessairement embaucher. En Allemagne, Klaus Zwinckel, leader d'IG Metall, affiche l'objectif des 32 heures en 2000. En Belgique, le PS et les deux grands syndicats de salariés demandent les 4 jours. En France, la CFDT, depuis son dernier congrès, demande une loi cadre sur les 32 heures. A FO, à la CGT, à la CFTC comme à la CFE-CGC, un nombre croissant de responsables et de fédérations prennent position pour les « 4 jours-32 heures ».

    C'est un des paradoxes du dossier : tout se jouera dans la négociation entreprise par entreprise, mais il faut créer une dynamique nationale avec un objectif, un symbole mobilisateur. Slogan pour slogan, les 4 jours à la carte nous paraissent meilleurs que les 35 heures. Avec plus de 3 millions de chômeurs, les demi-mesures ne sont moralement, socialement et politiquement plus acceptables.

    Le chômage et l'exclusion sont à la source de l'essentiel des problèmes de la société française. Il est temps d'arrêter l'homéopathie et d'engager les grandes manoeuvres. Selon l'Association nationale des Docteurs ès sciences économiques, une baisse de 20 % de la durée moyenne du travail accompagnée d'une baisse de 10 points des cotisations pourrait créer 1,5 à 2 millions d'emplois. C'est un chantier gigantesque mais l'objectif est autrement motivant que les 200 000 à 400 000 emplois attendus avec le texte de loi.

    Enfin, il faut que nous disions le sens de l'évolution en cours. 39 heures, 35 ou 32 heures ? En fait, le chiffre, on s'en moque. L'essentiel est dans une réduction massive de l'horaire de tous ceux qui travaillent, débouchant sur de réelles créations d'emplois. Et puis, c'est de nos vies qu'il s'agit ! La question est de savoir si, malgré les doutes, tous les échecs, nous avons encore envie de vivre ensemble, de « faire nation » pour que vivent les valeurs universelles de liberté et d'égalité.

    La question n'est plus « pour ou contre la loi cadre ? » mais plutôt « dans quelle société vivrons-nous demain ? La France est-elle capable d'humaniser la mondialisation ou bien va-t-elle se laisser ronger par ses peurs ? » C'est sans doute la force de la semaine de 4 jours : elle ouvre pour chacun de nous et pour l'ensemble de la société la possibilité de nouveaux modes de vie. Elle peut apporter à notre pays un grand souffle d'enthousiasme.
Oui, au-delà des créations d’emplois, au-delà de la lutte contre la précarité, au-delà de l’effet positif pour la sécurité sociale et les retraites (1 400 000 emplois, c’est 1 400 000 cotisants en plus), la semaine de 4 jours peut apporter à notre pays un nouvel enthousiasme car elle permet vraiment à chacun de vivre autrement.

Deux témoignages :
     Un chef d’équipe, dans le Sud de la France : « Depuis mon mariage, mon vélo était rangé au garage. A chaque fois que je voulais faire une grande ballade, ma femme me faisait (gentiment) remarquer, qu’il y avait des choses plus urgentes à faire pour les enfants ou pour la maison. Depuis que je suis passé à 4 jours, j’ai un jour « pour moi » chaque semaine. J’adore ma femme, j’adore mes enfants, mais on n’a pas forcément les mêmes goûts, les mêmes centres d’intérêt. C’est ça qui est un peu révolutionnaire avec les 4 jours : ça donne du temps vraiment à soi, et du coup, le week-end, on n’est plus disponible pour les autres !»

     Un ouvrier dans une imprimerie du Nord. Il était l’un des deux salariés qui avaient voté contre le passage à 4 jours au moment du référendum interne (à cause des 3 % de perte de salaire). « La semaine de 4 jours, ça a changé ma vie. Ça a changé les relations avec mon fils. Jusque là, quand je voyais mes enfants, c’était toujours en même temps que ma femme. Et les enfants parlaient beaucoup plus à leur maman qu’à leur papa. Avec mon fils, on n’avait jamais grand-chose à se dire. Depuis que je suis passé à 4 jours, on va chaque semaine à la piscine, mon fils et moi ; ça a complètement changé notre relation. »

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La semaine de 4 jours « à la carte » n’est évidemment pas le seul outil à notre disposition pour lutter contre le chômage. Pour créer de nouveaux emplois, l’Europe doit investir plus massivement dans la Recherche et le développement. Pour éviter les délocalisations intra-européennes et favoriser une convergence économique rapide des dix pays qui nous ont récemment rejoint, l’Europe doit aussi, dans un double mouvement, faire bénéficier ces pays d’un véritable Plan Marshall et définir des normes sociale et fiscales qui s’imposent à tous (voir au chapitre suivant notre proposition d’un impôt européen).

Pour favoriser l’emploi et répondre à des attentes fondamentales, il faut aussi investir massivement dans la construction de logement. Aux Pays Bas, une grande partie du fonds de réserve des retraites a été investie dans la construction de logement social (et non pas sur les marchés financiers). Pourquoi ne pas faire de même en France ? Après le chômage, la question du logement est un des principaux problèmes de notre pays : beaucoup sont très petitement logés et doivent payer chaque mois des loyers de plus en plus exorbitants, ce qui diminue d’autant l’argent disponible pour d’autres dépenses utiles à la famille… Une vraie politique du logement pourrait créer massivement des emplois et, en faisant baisser les loyers, favoriser la consommation des ménages.

Une vraie politique d’économie d’énergie
(absolument urgente quand on a conscience des problèmes environnementaux et des problèmes de coût du pétrole) pourrait, elle aussi, créer massivement des emplois. Si l’on décidait de diviser par deux en quelques années la consommation d’énergie de tous les bâtiments (publics et privés), combien d’emplois pourrions-nous créer ? On a supprimé la vignette auto. Ne vaudrait-il mieux pas (avec le produit d’une éco-taxe), favoriser les créations d’emplois dans tous les domaines qui touchent au développement durable ?

Pour favoriser la création d’entreprises, ne faut-il pas réfléchir à un Small Business Act à la française ? Aucun de nous ne donne la même nourriture à un bébé, à un enfant et à un adulte. Pourquoi ne pas réfléchir aux adaptations administratives et fiscales qui seraient les plus favorables au développement des petites entreprises ?

Pour lutter contre la précarité, une simplification drastique du code du travail s’impose. Ses 1 500 pages ont de quoi donner des frayeurs à quiconque envisage d’embaucher un CDI. Une RTT massive doit faire massivement reculer le chômage et donc rééquilibrer la relation entre entreprises et salariés. Il convient, dans le même temps, de simplifier le code du travail et la fiscalité pesant sur les entreprises.

Pour déprécariser l'emploi toujours, il faut négocier, branche par branche, un bonus-malus précarité, qui incite les entreprises à transformer en emploi stables leurs emplois précaires : les entreprises qui auront moins d'emplois précaires que la moyenne de la branche paieront un peu moins de cotisations. Celles qui ont davantage d’emplois précaires que la moyenne devront payer plus. Un tel bonus-malus a permis de diviser par deux les accidents du travail. Pourquoi ne pas encourager aussi les entreprises à déprécariser leur organisation ?

Pour faire reculer la précarité, ne faut-il pas également regarder ce qui se fait au Danemark en matière de sécurité et d’accompagnement des chômeurs ? Il n’y a que 3 % de salariés en dessous du seuil de pauvreté au Danemark contre 8% en France. Le système d’indemnisation des chômeurs danois leur assure un bon accompagnement et 90 % de leur ancien salaire (pendant 4 ans si nécessaire !) du moment qu’ils recherchent effectivement un emploi. De ce fait, ils ne sont pas obligés d’accepter de petites boulots comme le font souvent des chômeurs français mal indemnisés ou en fin de droit.

Entre ceux qui veulent importer intégralement le modèle danois et ceux qui le refusent en bloc, n’y a-t-il pas de place pour le débat et (peut-être) l’expérimentation ? Retenons en tous cas que le nombre de salariés pauvres est trois fois plus faible dans ce pays que dans le notre alors que son économie est bien plus largement « ouverte à la mondialisation » que la nôtre...

Pour muscler notre économie, il faut aussi favoriser les groupements d’employeurs et la mise en réseau des PME (sur le modèle italien). On a su regrouper les communes. Pourquoi ne pas inciter les PME à mettre en commun leur effort de recherche ou de marketing ?

En même temps que la RTT, devra être négociée la formation tout au long de la vie. Au delà des slogans, comment permettre à tous d’accéder réellement à la formation ? Dans beaucoup de PME, la formation sur le temps de travail est très difficile à organiser : envoyer un salarié en stage quand on en a que 8 ou 9, c’est mettre l’équipe en difficulté. Passer à 4 jours, gagner (en moyenne) un jour de libre par semaine, peut être l’occasion de construire un nouveau droit à la formation pour les salariés. Comment assurer aussi le droit à la formation des chefs d’entreprise (en particulier des créateurs d’entreprise) ? Investir dans la formation (des salariés comme des patrons), c’est donner à notre économie une nouvelle source de compétitivité. Investir dans la formation, c’est aussi éviter que ne co-existent des emplois non pourvus (300 000 en moyenne) et des chômeurs sans emploi.

« J’en ai parlé avec ma femme. » explique un ouvrier à la fin d’un débat public prés d’Orléans. « Même s’il fallait perdre 5 % de salaire, nous avons envie de passer à 4 jours. Cela fait 20 ans que je travaille dans la même entreprise (une PME de moins de 10 salariés). Cela fait 20 ans que je n’ai pas mis le nez dans un livre : 20 ans sans une heure de formation ! A chaque fois qu’on en parle au patron, il nous dit que c’est une bonne idée mais que c’est trop compliqué à organiser. Il ne sait pas comment nous remplacer si nous partons en stage. Je sais très bien que, si je suis licencié, je suis bon pour le chômage de longue durée car je ne suis plus au niveau qu’on demande maintenant quand on embauche quelqu’un. Et ce n’est pas le soir, quand je suis fatigué, ou le week-end, quand il y a les enfants, que je peux me former. Si on passe à 4 jours, j’aurais du temps pour me former, même si le patron n’est pas d’accord. »

Dans un parti où beaucoup sont cadres ou professeurs, on sous-estime sans doute l’envie de formation que ressentent beaucoup de nos concitoyens, qui ont un bagage scolaire plus faible : une étude publiée par la CGT révèle que plus de 70 % des salariés seraient prêts à consacrer une partie de leur temps libre à se former. 60% seraient même d’accord pour participer au financement de cette formation. Permettre à tous (et toutes !) de se former sur le temps libre « même si le patron n’est pas d’accord », c’est un chantier considérable mais vraiment fondamental. Une RTT massive, style 4 jours à la carte, est sans doute la clef pour avancer dans ce domaine (voir sur ce sujet La gauche est morte, vive la gauche, Pierre Larrouturou aux Presses de la renaissance, 2001)

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Augmenter l’effort de recherche, financer un vrai Plan Marshall pour les nouveaux états membres, avoir une vraie politique du logement et une vraie politique d’économie d’énergie, simplifier le code du travail, instaurer un bonus-malus anti-précarité, prendre dans le système danois tout ce qui a fait reculer la précarité, favoriser les groupements d’employeurs, construire un vrai droit à la formation tout au long de la vie... la semaine de 4 jours n’est évidemment pas la seule arme contre le chômage mais c’est un outil indispensable : quel autre levier permettrait de créer plus d'un million d'emplois CDI en quelques années ?
    « Il faut passer à 32 heures. Cela obligera toutes les entreprises à créer des emplois. » affirmait Antoine Riboud en 1993. Il n’a guère été entendu. En période de crise, il est plus facile de jouer sur les peurs et de parler au cerveau reptilien que de parler à l’intelligence et au cerveau citoyen.

    En 1917, quand Henry Ford affirmait qu’il fallait des règles collectives pour augmenter les salaires (afin d’augmenter la consommation), quand Kellog passait ses usines à 30 heures (et augmentait les salaires de 12 %) pour « donner du travail à 300 chefs de famille », ils ont été moqués par les autres patrons américains. En période de crise, le bon sens ne veut-il pas que l’on travaille plus en gagnant un peu moins ? Ce bon sens reptilien a conduit à la crise de 1929.

    Ce même bon sens inspire aujourd’hui les leaders de la droite quand ils incitent chacun à travailler plus. En réalité, le seul moyen de rééquilibrer le marché du travail pour augmenter vraiment les salaires, le meilleur moyen de relancer la croissance, le meilleur moyen aussi de sauver les retraites, c’est de s’attaquer frontalement au chômage. Ce qui passe (entre autres actions) par une forte baisse du temps de travail.

    Beaucoup, à gauche, ont peur d’être ridicules en parlant à nouveau du temps de travail
     : on en a déjà tellement parlé. Et puis, faut-il vraiment faire le bilan des 35 heures ? Les 35 heures devaient être une étape vers les 4 jours - 32 heures, mais qui s’en souvient ? Oui, on a peur d’être ridicule. On a peur de faire « réchauffé ». Mais la peur n’est pas forcément bonne conseillère. Serons-nous capables de nous ressaisir et d’ouvrir un vrai débat sur cette question cruciale avant que la précarité généralisée ne débouche sur une crise majeure ?

    Michel Rocard et Pierre Larrouturou
    Conclusion d'un article publié dans Le Nouvel Observateur ( 21 octobre 2004 )



Changer le pansement ou penser le changement ?

 
Quelle est notre ambition : limiter la casse ou construire du neuf ? Changer le pansement ou penser le changement ?

Quand la droite ne s’intéresse qu’aux conséquences de la crise, quand la droite joue sur les peurs et s’adresse au cerveau reptilien, avons-nous le courage de nous attaquer aux racines des problèmes et de parler au cerveau citoyen, en proposant aux Français une réflexion commune sur l’évolution de notre système économique, préalable à la construction d’un nouveau contrat social ?

Pierre Mendès France expliquait que, dans les périodes difficiles, le premier rôle du politique est de permettre à tous les citoyens de comprendre le monde dans lequel ils vivent
 : aller au delà des impressions personnelles, arriver à une compréhension profonde des mécanismes en jeu, à une compréhension collective des évènements, qui permet de comprendre aussi quelles sont les différentes alternatives.

Cette contribution, rédigée très rapidement, ne prétend évidemment pas faire « le tour de la question ». Notre objectif est seulement d’alerter sur la gravité de ce qui se prépare (au delà de la souffrance sociale qui existe déjà, très massivement). Notre objectif est de porter à la connaissance de tous les militants quelques éléments d’information qui nous semblent importants et ne sont pas suffisamment présents dans le débat public.

Notre objectif est également de proposer que nous prenions le temps de réfléchir vraiment à cette question fondamentale pour notre avenir : quel nouveau contrat social, quelle politique sociale allons nous proposer en 2007 ?

Les statuts de notre parti prévoient l’organisation chaque année de deux conventions nationales ayant pour objectif de clarifier des éléments du projet. Dés que le Congrès du Mans sera fini, ne faut-il, pas prendre 4ou 5 mois pour réfléchir vraiment aux questions sociales ? Nous proposons que le parti organise une Convention sur ce sujet.

Le chômage et la précarité sont le problème le plus grave et le plus urgent à régler.

Les dégâts provoqués par le chômage et la précarité sont considérables et même ceux et celles qui ne sont pas touchés directement en sont des victimes indirectes : nous ne pourrons pas réellement augmenter les salaires ni sauver les retraites tant que le chômage et la précarité resteront à ce niveau. Nous ne pourrons pas dégager d’importantes marges de manoeuvre pour financer la recherche, la santé ou l’éducation tant que le chômage et la précarité resteront à ce niveau, tant qu’ils pèseront sur la consommations des ménages et donc sur les ressources fiscales de l’Etat.

Casser le chômage et la précarité, tel doit être notre objectif principal.
Telle doit être l’ambition de la Convention nationale (ouverte à toutes les forces progressistes) qui doit s’ouvrir juste après le Congrès
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Au delà du Oui et du Non
Un Traité social, pour sauver l’Europe

 
    « Le « oui de gauche » et le « non européen » ont une base d’accord : les uns et les autres, en fait, veulent une Europe plus sociale.

    Il y a un an, le Nouvel Observateur réunissait quelques mille personnes pour discuter longuement d’un projet de traité social que ses promoteurs, Michel Rocard, Pierre Larrouturou et bien d’autres, proposaient d’adjoindre au traité constitutionnel. A l’époque, les sceptiques avaient pris cette initiative pour une entreprise sympathique mais irréaliste. On voit aujourd’hui ce qu’il en coûte. Un tel ajout aurait désarmé une bonne partie des arguments du Non. José Bové, Jacques Delors ou encore Susan George, animatrice d’Attac, avaient soutenu le texte. Pourquoi cette convergence serait-elle aujourd’hui impossible ?

    Autour d’un projet de cette nature –donner à l’Europe des objectifs sociaux en plus des objectifs monétaires et financiers existants-, les pro-européens de gauche peuvent encore se retrouver. Qu’ils aient voté oui ou non. »

    Laurent Joffrin
    Le Nouvel Observateur
    9 juin 2005

Aurions-nous pu éviter les déchirements que nous venons de connaître ? Oui, sans doute. Cela fait plus de deux ans que certains d’entre nous avions tiré la sonnette d’alarme :
    « Si nous n’arrivons pas à imposer un vrai traité de l’Europe sociale, nous serons piégés quand la Constitution européenne sera soumise à référendum. Cette Constitution intégrera Maastricht mais risque de ne comporter que des mentions très vagues en matière sociale. De ce fait, le Non risque de l’emporter dans de nombreux pays. L’Europe restera une zone de libre échange sans projet politique. Les libéraux auront gagné la partie.

    Il y a urgence à donner un contenu concret à l’Europe sociale. Avec les socialistes allemands, espagnols, italiens ou tchèques, nous devons imposer un traité de l’Europe sociale aussi concret et contraignant que le fut Maastricht en matière monétaire… Invitons les socialistes et les syndicats des 25 pays à se retrouver pour 3 jours de débats à la Sorbonne, fin juin, puis, ensemble, faisons pression sur les négociations en cours. »

    Pierre Larrouturou
    Claude Daubas
    L’Hebdo des socialistes
    22 février 2003

Sans doute aurions nous pu éviter les déchirements que nous avons connus. Sans doute aurions-nous pu (et dû) agir pendant la négociation de la Constitution pour faire beaucoup plus fortement entendre nos revendications en matière sociale. Autant François Mitterrand a laissé un bilan considérable en matière européenne, autant, depuis son départ, notre bilan collectif dans ce domaine est assez médiocre. Depuis la chute du Mur de Berlin, tout le monde savait qu’il fallait approfondir l’Union, la démocratiser et lui donner des ressources propres afin d’accueillir les nouveaux membres dans de bonnes conditions. Qu’avons-nous fait depuis dix ans en matière européenne ? Aujourd’hui, aucun de nous ne se sent trèsfier : ceux qui ont voté Non ont transgressé les règles du parti. Ceux qui ont voté Oui se sont éloignés du vote populaire. Tous nous avons conscience aussi que notre pays a besoin d’une politique de gauche et que nous ne pouvons pas nous diviser sauf à laisser la droite au pouvoir pour plusieurs années encore.

Comment sauver l’Europe ? Comment rassembler la gauche ? Il n’est pas trop tard pour agir. Les prochains mois vont être décisifs pour l’avenir de l’Europe : soit l’Europe s’enfonce dans une crise sans fin (elle devient une zone de libre échange sans projet ni frontières); soit, poussés par les peuples qui les ont élus, les dirigeants européens se remettent en cause et c’est une Europe renforcée, plus démocratique et plus sociale qui renaît de la crise. Tony Blair a annoncé un grand débat. A nous d’agir pour nous faire vraiment entendre. Agir ? cela suppose de clarifier notre objectif. Il n’est pas trop tard pour avoir enfin le grand débat sur l’Europe que nous aurions du avoir depuis la chute du Mur de Berlin.

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Quel fonctionnement démocratique ?

Longtemps, nous avons répété ce qu'on nous avait appris : « Il ne faut pas critiquer Bruxelles. Les décisions sont démocratiques puisqu’elles sont prises par des gouvernements élus démocratiquement. » Et puis, nous avons compris que c’était faux : comme le Conseil européen n’est composé que de Chefs (Chefs d’Etat, Chefs de gouvernement), il fonctionne à l’unanimité sur toutes les questions importantes. Un Chef ne peut pas être mis en minorité sur une question importante ! A l’unanimité, ne peuvent avancer que les idées qui correspondent au plus petit commun dénominateur de tous les gouvernements réunis autour de la table. Il faudrait que 15 pays sur 15 (et maintenant 25 sur 25) soient d’accord pour que l’on puisse changer de cap… Aucune alternance n’est jamais possible. Le Conseil n’a pas un fonctionnement démocratique. Et quand le politique est paralysé, ce sont les technocrates ou le marché qui décident de notre avenir...

Cette règle d’unanimité a des effets dévastateurs.

Qui d’entre nous ne l’a pas entendu « Même quand la gauche dirigeait 12 gouvernements sur 15, les politiques européennes n’ont pas changé de direction. » Sans doute aurions-nous pu être plus courageux, taper parfois du poing sur la table, mais la règle d’unanimité a ceci de redoutable que sur toutes les questions importantes, il aurait fallu que 15 gouvernements sur 15 soient d’accord (et maintenant 25 sur 25 !) pour qu’on puisse changer de cap. L’unanimité est une règle mortifère. Aucune association, aucune entreprise, aucun pays ne fonctionne à l’unanimité. C’est la paralysie assurée !

Qu’on ait voté pour le Oui ou pour le Non, il faut reconnaître que les avancées étaient limitées. Comme le disait Alain Duhamel dans Le Monde 7 " Tony Blair, le plus séduisant des souverainistes, a gagné. Tous les sujets cruciaux (fiscalité, social, budget, politique étrangère, défense) échappent aux décisions à la majorité. La France rêvait à juste titre d’Europe puissance. C’est plutôt une Europe faiblesse qui se dessine. "

En 1997, à l’issue du sommet d’Amsterdam, toute la presse avait salué la création d’un Monsieur Politique Extérieure et de Sécurité Commune (Monsieur PESC) qui allait donner à la politique européenne « visibilité, efficacité et cohérence » selon MM. Schroeder et Chirac. Huit ans plus tard, qui peut dire que la diplomatie de l’Europe est « visible, efficace et cohérente » ? Le nouveau Traité n’améliorait en rien la situation dans ce domaine puisque les Anglais avaient obtenu que l’unanimité (c’est à dire la paralysie) reste la règle en matière de politique extérieure. Clause proprement ahurissante, il était même prévu que si certains pays voulaient constituer une « coopération renforcée » dans ce domaine, ils devaient obtenir l'autorisation de tous leurs voisins !

Interrogé sur la création de ce poste de Ministre des Affaires étrangères de l’Union, Jacques Delors déclarait le 3 mai dernier « Ne créons pas de faux espoirs. Il restera toujours les 25 Ministres des affaires étrangères des 25 états membres et, avec la règle d’unanimité, c’est déjà bien si le Ministre européen n’est pas cantonné à porter les valises...»

Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité.

Ce n’est pas en mettant quelques rustines aux institutions conçues à 6 que l’on fera naître l’Europe des 30. « L’élargissement rend indispensable une réforme fondamentale des institutions. » affirmait Joschka Fischer, le Ministre allemand des Affaires étrangères le 12 mai 2000. « Comment imaginer un Conseil européen à 30 chefs d’Etat ? Combien de temps les réunions vont-elles durer ? Comment parvenir encore à agir ? Il existe une réponse toute simple : le passage à un système entièrement parlementaire que demandait déjà Robert Schuman il y a 50 ans. »

Dans un système parlementaire, il suffit d’une majorité de députés pour faire bouger les choses. Pas besoin de l’unanimité ! Si l’on adoptait un fonctionnement parlementaire, l’ensemble du Gouvernement européen serait d’une seule couleur politique, celle qui a la majorité au Parlement européen. Il n’interviendrait que sur les questions sur lesquelles un pays isolé n’a plus vraiment de souveraineté, celles sur lesquelles nous devons absolument nous unir pour être efficaces. Tous les 5 ans, les citoyens pourraient faire le bilan de son action et décider de lui donner ou non cinq ans de plus... Comme dans tout vrai régime parlementaire, le Parlement européen devrait avoir un pouvoir d’initiative.

Impôt sur les bénéfices, écotaxe ou taxe Tobin améliorée, un impôt européen voté par le Parlement européen financerait le budget européen.

Le discours de Joschka Fischer avait enthousiasmé tous ceux qui veulent construire une Europe politique capable de faire équilibre à l’hyper-puissance américaine. A gauche, un très grand nombre de militants et d’élus avaient immédiatement exprimé leur soutien. A droite, les Européens convaincus avaient applaudi aussi : « Ces propositions tombent à pic. Si nous n’allons pas dans ce sens, l’Europe ne ressemblera plus à rien. » affirmait Hubert Haenel, Sénateur RPR. Alain Juppé, pressentant l’opposition anglaise, expliquait qu’il ne fallait pas avoir peur d’une « crise clarificatrice ».

Le Non de Védrine

Hélas, très vite, le Ministre français des Affaires étrangères entreprit d’étouffer l’enthousiasme naissant. Hubert Védrine expliqua d'abord que Fischer s'exprimait à titre personnel. Ce qui était faux puisque le chancelier Gerhard Schröder et le Président Johannes Rau soutenaient Joschka Fischer et que très vite la droite allemande affirmait, elle aussi, son soutien.
Puis Hubert Védrine expliqua qu'il n’avait pas « de goût pour les controverses théoriques », comme si le fait de passer d’une usine à gaz technocratique à une démocratie parlementaire était une controverse théorique ! Au PS, le trouble grandissait : Pourquoi Védrine était-il tellement fermé à la proposition de refondation ? On expliqua aux élus et aux militants que, à cause de la cohabitation, la France ne pouvait pas répondre aux initiatives allemandes.

Mais quand, à la veille de la présidence française, en juin 2000, Jacques Chirac, devant le Bundestag, affirma que Fischer avait raison et qu’il fallait une Constitution à l’Europe, Pierre Moscovici affirma dés le lendemain que le Président parlait à titre personnel et qu’il n’engageait pas les autorités françaises… L’argument de la cohabitation s’effondra. Non, Non et Non ! Védrine et Moscovici ne voulaient pas refonder l’Europe ni lui donner une Constitution. Et ils avaient raison contre l’ensemble des militants : depuis le départ de Jean Pierre Chevènement, en effet, tous les socialistes sont favorables à la construction d’une Europe démocratique. En 2003, toutes les motions du Congrès de Dijon exprimaient la nécessité de construire une Europe fédérale (et Hubert Védrine n’en a signé aucune…).

Quand on dit que l’Europe a révélé un problème de démocratie interne à notre parti, il faut aller au bout de l’analyse : oui, c’est vrai, le fait que d’éminents dirigeants et plusieurs milliers de militants ont fait campagne pour le Non alors que le parti avait tranché pour le Oui, cela pose problème. C’est indéniable. Mais n’exagérons pas la gravité de ce qui s’est passé depuis 6 mois. Il n’y avait pas d’un côté les bons et de l’autre côté les méchants. « La famille pro-européenne s’est divisée pour des raisons tactiques et stratégiques » affirmait Jacques Delors le 3 mai dernier. Il y avait des pro-européens des deux côtés.

Le fait que des militants ne respectent pas le vote majoritaire pose problème, c’est vrai. Mais que des Ministres socialistes français se moquent d’un Ministre allemand (Védrine est allé jusqu’à traiter Fischer de « joueur de pipeau » !) et qu’ils refusent de réfléchir à la construction d’une Europe fédérale alors que c’est l’option choisie par l’ensemble des militants, cela pose aussi question ! Et que le parti n’ait rien dit à l’époque alors que tous les militants et les élus qui s’intéressent à l’Europe étaient furieux, cela pose question.

Et en 1999, pourquoi avoir fait liste commune avec Chevènement aux européennes ? S’il y a bien un sujet sur lequel nous n’étions pas d’accord avec Chevènement, c’était l’Europe. Si nous l’avions laissé aller seul aux élections, sans doute aurions nous pu avoir un discours sur l’Europe beaucoup moins ambiguë (à un moment où 12 des 15 pays étaient gouvernés par la gauche). Sans doute aussi, si nous l’avions laissé aller seul aux élections de 1999, Jean Pierre Chevènement aurait-il fait un score très faible, ce qui l’aurait incité à avoir une attitude plus modeste en 2002…. Comment a été décidé l’alliance avec Chevènement en 1999 ? C’est aussi un problème de démocratie interne.

Mais revenons à l’Europe.

" Le Non français n'est pas un rejet de l'Europe elle-même mais un rejet de l'Europe néolibérale " affirmait récemment John Monks, Secrétaire général de la CES (Confédération Européenne des Syndicats). " Aux yeux des salariés, l'Europe n'est pas apparue comme une réponse au problème du chômage. La mondialisation apparaît toujours comme hors de contrôle. Près de 80 % des ouvriers ont dit non. Je respecte la démocratie : la CES sera du côté de la France sur ce sujet. " " Si les Allemands se prononçaient par référendum, je suis sûr qu'ils voteraient non " ajoute Peter Altmaier, député CDU, avant d’affirmer que " pour que la France revote, il faudrait que la question du modèle social soit clarifiée. "

En 1991, quand Jacques Delors proposait d'inscrire des critères sociaux dans le traité de Maastricht, la CDU d'Helmut Kohl s'y opposait. Mais la crise sociale qui ronge l'Allemagne et le vote français au référendum ont fait bouger les lignes : porte-parole de la CDU, Peter Hintze vient s'affirmer qu'il faut prendre au sérieux le vote français. Les raisons du refus sont économiques et sociales. Pour faciliter un second vote, je me demande s'il n’y a pas moyen d'adopter, en parallèle à la Constitution, une déclaration sur les problèmes sociaux.

Construire une Europe sociale est aujourd’hui une condition sine qua non de toute avancée vers l’Europe politique. C’est sans doute aussi le meilleur moyen d’éviter une crise économique majeure : Ken Rogoff, ancien Chef économiste du FMI, tirait récemment la sonnette : " Dans les deux ou trois ans qui viennent, le déficit américain risque de déboucher sur une récession globale. " Quand la dernière grande crise a éclaté, en 1929, la dette totale américaine était de 140 % du PIB; elle est aujourd’hui de 210 % du PIB…

On l’a dit plus haut : l’ensemble de l’économie mondiale a accumulé des déséquilibres considérables. La récession menace. Si l’Europe n’est pas capable de devenir très vite un moteur de l’économie mondiale, si nous ne sommes pas capables d’inventer très vite un modèle social différent du modèle de précarité généralisée qu’impose peu à peu le capitalisme, sommes-nous sûrs que ce qui s’est passé en Europe entre 1930 et 1945 ne va pas se reproduire en Asie d’ici 20 ans ? C’est quand tous ont un vrai travail et un vrai salaire, quand tous sont assurés d’une bonne retraite et d’une bonne protection sociale que l’économie fonctionne de la façon la plus solide. C’est quand l’organisation sociale respecte la dignité et le travail de chacun, que la paix est la mieux assurée. Pour toutes ces raisons, il nous paraît urgent de doter l’Europe d’un traité social.

Un Traité pour l’Europe sociale

Le traité de Maastricht comportait cinq critères (déficit inférieur à 3 %; dette inférieure à 60 %...). De même, nous proposons cinq objectifs pour l'Europe sociale :
     un emploi pour tous : un taux de chômage inférieur à 5 % ;
     une société solidaire : un taux de pauvreté inférieur à 5 % ;
     un toit pour chacun : un taux de mal-logés inférieur à 3 % ;
     l'égalité des chances : un taux d'illettrisme à l'âge de 10 ans inférieur à 3 % ;
     une réelle solidarité avec le Sud : une aide publique au développement supérieure à 1 % du PIB.
Des sanctions doivent être prévues pour les Etats qui ne respecteraient pas ces critères sociaux en 2015. A nous d'aller voir comment nos voisins danois sont parvenus à faire tomber l'illettrisme à 3 %. A nous d'aller voir en Hollande comment ont été réglés les problèmes de logement ou comment la Suède a fait reculer la pauvreté.

Le traité doit comporter également des garanties fortes en matière de financement des systèmes de sécurité sociale et des services publics. Le traité doit donner un objectif de croissance à la Banque Centrale (comme c’est le cas aux Etats-Unis). Il doit mettre fin au moins-disant que provoque la règle d'unanimité en matière fiscale et permettre le financement du budget européen par un impôt européen.

Créer un impôt européen

Pour sortir de la crise budgétaire, il faut absolument donner à l’Europe des ressources propres. Le financement de l’Union repose aujourd’hui sur des états surendettés. Ces états sont poussés au moins disant fiscal par ceux d’entre eux qui baissent leur impôt sur les bénéfices pour attirer les entreprises (L’Irlande a baissé son impôt sur les bénéfices à 12 % et l’Estonie à 0 % ! Jamais il n’y a eu autant de bénéfices mais jamais on n’a autant baissé l’impôt sur les bénéfices.) Ce moins-disant fiscal accroît l’endettement public. Et, au lieu d’harmoniser les taux, la Commission menace les états de sanction pour déficit excessif tout en les incitant à… donner plus pour boucler le budget européen ! La crise budgétaire était inévitable. Sans impôt européen (impôt sur les bénéfices ou écotaxe), l’Europe ne pourra jamais financer la stratégie de Lisbonne, la politique agricole, les fonds régionaux et l’aide aux nouveaux entrants.

La Roumanie vient d'être autorisée à adhérer à l'Union. Pour fêter cela, le site de l'ambassade de Roumanie nous apprend que le « gouvernement vient de prendre des mesures d'allègement fiscal à effet immédiat. L’ordonnance d’urgence prévoit la baisse de l’impôt sur les sociétés de 25 % à 16 %. » Comme les voisins baissent leur impôt sur les bénéfices, l’Allemagne fait pareil : l'impôt va passer de 38,3 à 32 %...

En 15 ans, le taux moyen d’impôt sur les bénéfices a baissé d’un tiers en Europe, passant de 45 % à 30 %. Pour la France, cette année, c’est un manque à gagner de quelques 17 milliards d’euros. 17 milliards, c’est considérable : c’est le trou de la Sécu plus 2 fois le budget du CNRS !

La seule fois dans l’Histoire où l’on a observé une telle course au moins-disant fiscal entre états voisins, ce fut aux Etats-Unis dans les années 1920. Ce fut une des causes de la crise de 1929. Suite à cette crise, le système fiscal américain a été profondément transformé : pour limiter très fortement le dumping entre états voisins, 60 % des impôts et des taxes sont prélevés par le niveau fédéral et sont donc les mêmes sur tout le territoire.

Pendant 40 ans, l’Europe a été un espace de coopération. Depuis le début des années 90, c’est la concurrence de tous contre tous qui devient la règle. Schuman et Monnet doivent se retourner dans leur tombe.

Dans son dernier livre (La politique de l’impuissance), Jean Paul Fitoussi stigmatise cette Europe qui est le seul ensemble de la planète dans lequel « les instruments traditionnels de gestion macro-économique sont soit inexistants soit empêchés. » Absence d’impôt européen, totale irresponsabilité de la Banque centrale, interdiction de faire appel à l’emprunt : on s’interdit volontairement d’agir sur trois leviers fondamentaux. « De ce fait, les ajustements des économies nationales ne peuvent se faire que par des variations de coûts relatifs. »

« Moins-disant social et moins-disant fiscal, c’est la seule dynamique que peuvent contrôler les gouvernements nationaux. Ils ne peuvent choisir une autre direction. Leur seul pouvoir est celui d’accroître l’intensité de la concurrence, non de la réduire. »

« En réduisant les recettes de l’Etat, cette stratégie de moins-disant amoindrit leur capacité à fournir les biens publics essentiels : santé, éducation, recherche, infrastructures, cohésion nationale.» «C’est une stratégie perdante qui réduit le potentiel de croissance des nations.» conclut Jean Paul Fitoussi.

Comment nos états surendettés vont ils financer la recherche, la santé et l’éducation si l’on continue le moins disant fiscal ? Et le mouvement va s’accélérer dans les prochaines années. Jamais les bénéfices n’ont été aussi importants mais jamais on n’a autant baissé l’impôt sur les bénéfices !

" L'Irlande a réduit à 12,5 % son taux d'impôt sur les sociétés. Laisser des pays qui se sont enrichis grâce au commerce intra-européen, siphonner ensuite la base fiscale de leurs voisins, cela n'a rien à voir avec l'économie de marché. Cela s'appelle du vol " écrivait Thomas Piketty, économiste au CNRS, dans Libération le 13/10/2003.


Et Bruxelles ne fait rien pour inverser la tendance. Au contraire. A aucun moment, pendant la Convention, on n’a parlé de créer un impôt européen ou d'harmoniser la fiscalité. A aucun moment ! Cette question, fondamentale pour notre modèle social, est complètement tabou à Bruxelles.

Dans Le Monde du 21/02/2004, le Commissaire européen chargé du marché intérieur proposait même de réduire à 0 le taux d’impôt sur les bénéfices.
    Le Monde : Les entreprises pourront continuer de localiser leur valeur ajoutée là où elles paient le moins d'impôts...
    F. Bolkestein : « C'est un grand problème, que nous essayons de résoudre. Il persistera tant qu'on aura des différences d'Impôt sur les Sociétés. Si l'on adoptait la proposition de l'hebdomadaire The Economist en réduisant le taux d'Impôt à zéro, ces problèmes seraient résolus. La suggestion n'est pas absurde. »
SUPPRIMER COMPLETEMENT L’IMPOT SUR LES BENEFICES ! Cela paraît ahurissant mais c’est clairement ce que proposait le Commissaire et personne à Bruxelles n’a réagi ! En France, en 1995, quand Alain Madelin s’amusait à faire de la « provoc », il était immédiatement convoqué par Alain Juppé et, dés le lendemain, il n’était plus Ministre. A Bruxelles, un Commissaire peut proposer de supprimer complètement l’impôt sur les bénéfices sans s’attirer la moindre remarque, sans que cela suscite le moindre débat ! C’est, hélas, très révélateur du consensus libéral qui règne aujourd’hui dans une grande partie des « milieux européens ».

Quand l’Espagne a rejoint l’Union, elle avait un niveau de vie correspondant à 75 % de la moyenne européenne et nous nous sommes donné les moyens de l’aider massivement pour, assez vite, qu’elle rejoigne le peloton. Si l’on excepte les questions agricoles, l’arrivée de l’Espagne et du Portugal se sont très bien passées. Il n’y a pas eu de délocalisations (ou de façon marginale). L’Europe, pour ces deux peuples, est synonyme de démocratie et de prospérité. Et quand, « avec notre argent », l’Espagne achetait des trains ou des métros, ce sont des salariés français ou allemands qui les fabriquaient. Ce fut, économiquement et politiquement, une vraie réussite, un « gagnant-gagnant  ».

Aujourd’hui, le niveau de vie de la Pologne représente 47 % seulement du niveau moyen de l’Union (niveau moyen des 25). Les niveaux de vie moyens (PIB par habitant en standard de pouvoir d’achat) des nouveaux membres varient de 59 % en Slovénie à 18 % en Lettonie ! (Source Eurostat 2004). Faute d’avoir créé un impôt européen (voir Rocard et Larrouturou « Pour un impôt européen », Libération 19/03/2004), nos états surendettés et soumis au Pacte de stabilité ne savent pas comment financer le grand Plan Marshall indispensable pour réussir l’élargissement, un Plan Marshall qui serait « conditionné » à la mise en place dans les nouveaux états membres d’un mécanisme de progression des salaires et des minimas sociaux.

Cette question de la fiscalité européenne permet de mesurer à quel point, en quelques années, les idées libérales ont pollué les esprits dans les instances dirigeantes à Bruxelles. La nécessité d’harmoniser l’Impôt sur les Sociétés apparaissait déjà en 1962 dans le rapport Neumark et en 1970 dans le rapport Van den Tempel. En 1975, la Commission européenne préconisait un rapprochement des taux dans une fourchette comprise entre 45 et 55 %. En 1992, le rapport Ruding affirmait la nécessité de coordonner les taux mais la fourchette indiquée passait à 30-40 %. En 1992 aussi Jacques Delors proposait de créer un impôt européen (éco-taxe). Treize ans plus tard, on « converge » vers le bas (25 %) et un Commissaire a le culot de proposer de supprimer complètement l’impôt sur les bénéfices ! Et l’on s’étonne que les peuples soient critiques par rapport à Bruxelles !

Une question fondamentale pour notre avenir

Cette question de l’harmonisation fiscale a longtemps été un peu théorique car les états membres avaient des niveaux de vie et de fiscalité assez proches. Puis, avec l’adhésion de l’Irlande, l’absence d’harmonisation a commencé à devenir gênante. Mais nos pays s’en sortaient en jouant sur la dette publique (elle a triplé en 20 ans, en France comme en Allemagne). Maintenant que nos pays sont sur-endettés et menacés de sanction par Bruxelles, maintenant que les frais financiers liés à la dette publique sont le deuxième budget civil de nos pays, maintenant que nous sommes rejoints par des pays ayant des taux d’imposition nettement inférieurs aux taux des pays fondateurs, la question devient absolument cruciale. Comment allons nous financer l’éducation, la santé, la recherche ou les retraites si l’on continue ce moins disant fiscal ?

L’Europe est à la croisée des chemins : deux voies très différentes s‘offrent à nous. Soit nous continuons la concurrence de tous contre tous et nous allons très vite sentir l’asphyxie financière non seulement des budgets européens mais aussi des budgets nationaux et régionaux. Soit, au contraire, nous harmonisons un minimum nos fiscalités et nous créons un impôt européen pour financer les dépenses européennes (recherche, agriculture, coopération, défense, diplomatie…), ce qui nous redonnerait au niveau national des marges de manoeuvre considérables
. (voir la tribune publiée avec Patrick Peloux, Alain Trautmann, Alain Rousset et Claudy Lebreton sur l’absolue nécessité de créer un impôt européen, Le Monde du 23 mars 2005)

L’unanimité ?

Et qu’on cesse de nous dire que "la Constitution est soumise à la règle d’unanimité" et que nous sommes donc obligés de céder toujours devant les moins ambitieux en matière sociale. C’est faux !
Dans Le Nouvel Observateur du 4 décembre 2003, Robert Badinter dénonçait " le carcan " dans lequel on enfermait l’Europe : " de nombreux traités internationaux comportent une clause de révision à la majorité simple ou à la majorité des deux tiers comme la Charte des Nations unies." Le protocole de Kyoto vient d’entrer en vigueur malgré l’opposition des Etats Unis.

De même, une vraie Constitution européenne et un Traité social pourraient vivre sans la Grande Bretagne (en sachant que la porte lui restera toujours ouverte). En 1946, Churchill affirmait qu’il fallait créer les Etats-Unis d’Europe mais que la Grande Bretagne en serait le meilleur allié, à l’extérieur… En mai 2000, quand Joschka Ficher proposait une refondation démocratique de l’Europe (mettre en place un vrai régime parlementaire pour en finir avec l’unanimité qui paralyse le Conseil européen), Alain Juppé avait soutenu cette proposition et affirmé qu’il ne fallait pas avoir peur d’une " crise clarificatrice " avec les diplomates anglais. Juppé avait raison.

Dés qu’il a été rendu public, début 2004, notre projet de Traité de l’Europe sociale a reçu le soutien de Jacques Delors, Bronislaw Geremek, José Bové, Jean-Jacques Viseur (ancien Ministre des Finances belge, Chrétien social) et Elio di Rupo (Président du PS belge), Michel Rocard, Antonio Gutteres (ancien Premier Ministre portugais), Robert Goebbels (ancien Ministre des Finances luxembourgeois), Enrique Baron Crespo (ancien Président du groupe socialiste au Parlement européen), Pierro Fassino (Secrétaire des démocrates de gauche italiens), Patrick Pelloux, Alain Trautmann, René Passet, Timothy Radcliffe, Mgr Ricard (Président des Evêques de France), Philippe Guglielmi (ancien Grand maître du Grand Orient) et quelques 200 parlementaires issus de 9 pays de l’Union. Avec des soutiens aussi variés et aussi nombreux, allant de la droite humaniste aux altermondialistes pro-européens, ce projet de traité social peut constituer une bonne base de travail pour reprendre la négociation.

Le 23 mars 2004, une délégation conduite par Pierre Larrouturou et Elio di Rupo (président du PS belge) a remis à Romano Prodi, président de la commission, le projet de Traité de l'Europe sociale.

En juin 2001, quand le peuple irlandais a refusé de ratifier le Traité de Nice, les Chefs d’état ont d’abord affirmé que ce traité était le seul consensus possible, " le meilleur texte depuis le traité de Rome ". Six mois plus tard, au sommet de Laeken, ils changeaient d’avis et décidaient de relancer la négociation avec une autre méthode, la Convention. Dans quelques mois, quand sera passé le temps de l’émotion, il faudra relancer la négociation. Avec une autre méthode (aucune obligation d’unanimité) et sur une autre base.

Sauver l’Europe (et Rassembler la gauche)

Ne laissons pas mourir l’Europe ! Si l’on avait attendu un accord entre diplomates, le Mur de Berlin serait toujours debout. Ce sont des citoyens, des élus, des syndicats et des associations qui ont voulu la chute du Mur et la réunification de l’Europe. C’est aux citoyens de dire aujourd’hui quelle Europe ils veulent construire. Ne laissons pas l’Europe s’enfoncer dans une crise qui peut être fatale.

Les défis économiques et sociaux de la période sont d’une telle ampleur (on l’a vu dans la première partie de cette contribution), que nous ne pourrons pas sauver notre modèle social si nous n’arrivons pas à construire une Europe puissante, ayant clairement fait le choix de construire un modèle social différent du modèle libéral.

Pour rassembler la gauche et pour sauver l’Europe, il faut que les socialistes français prennent une initiative de grande ampleur. Il n’est pas trop tard pour organiser ce que nous proposions en 2003 : invitons les socialistes, les progressistes et les syndicats des 25 états membres à débattre ensemble, pendant 3 jours 8 , à la Sorbonne dés la fin septembre. Prenons le temps du débat. Sortons des caricatures et des anathèmes. Que Tony Blair vienne défendre sa vision de l’Europe. Débattons avec lui des succès et des limites de sa politique (car il y a et des succès et des limites à son action). Mettons nous d’accord sur le contenu que nous voulons donner à l’Europe sociale. Et puis, ensuite, organisons des débats publics et une grande campagne de pétition avec tous les syndicats et les associations qui voudront, avec nous, peser sur le sommet des chefs d’état de décembre prochain.

Nous devons nous faire entendre et demander que s’ouvre très vite une nouvelle négociation portant sur deux textes distincts :
     une vraie Constitution, un texte court qui ne traite pas du contenu des politiques mais seulement des valeurs, des droits fondamentaux et des règles démocratiques. Un texte qui s’inspire fortement des propositions faites par Joschka Fischer en mai 2000, propositions renouvelées en février 2004 : élaguer les compétences, mettre en place un régime parlementaire et un vrai gouvernement européen, créer un impôt européen pour financer le budget européen.

     un Traité social, qui fixe des critères sociaux ambitieux et change les règles du jeu en matière de monnaie, de fiscalité, d’agriculture et de relations Nord-Sud. Un Traité qui reconnaisse la primauté du principe d'intérêt général sur le droit de la concurrence. Un Traité qui reconnaisse vraiment en droit la notion de service public et donne contenu et force à la notion de développement durable. La négociation pourrait partir de la proposition de Traité de l’Europe sociale soutenue au printemps dernier par Jacques Delors, Bronislaw Geremek, Susan George, Antonio Guterres, Elio di Rupo, Enrique Baron Crespo, Piero Fassino, José Bové et plus de 400 responsables issus de 9 pays de l'Union.

    L’Europe est notre avenir

    Des millions d’hommes et de femmes se sont battus pour la République et le progrès social au niveau national. Pour protéger notre modèle social, pour rééquilibrer les relations Nord-Sud, pour peser sur la marche du monde, il faut continuer ce combat au niveau européen.

    I want my money back ! I want my money back !
    Entre 1980 et 1984, Margaret Thatcher n’a pas eu peur de rompre le consensus européen pour faire entendre ses priorités : « je veux mon argent ! je veux mon argent ! » répétait-elle jusqu’à obtenir gain de cause. N’est-il pas temps nous aussi, avec tous nos amis belges, allemands, italiens, tchèques, espagnols et polonais, de dire ce que nous voulons : « Nous voulons la démocratie. Nous voulons la justice sociale ! »

    Face aux déséquilibres et aux drames que provoque l'impérialisme américain, il est temps de faire naître vraiment une Europe politique, disposant d'une diplomatie et d'une armée; une Europe gouvernée par une équipe homogène, réellement responsable devant le Parlement européen. Oui, il y a urgence à faire naître cette Europe politique, capable de tirer richesse de sa diversité. Mais il n'y aura pas d'Europe forte sans soutien des opinions publiques : pas d'Europe politique sans Europe sociale.


Etre socialistes,
qu’est-ce que ça veut dire ?

 

« Si les hommes auxquels le pouvoir est confié
interprètent convenablement la réalité historique,
ils peuvent favoriser des accouchements,
les rendre moins pénibles, moins douloureux
ou, au contraire, freiner tel ou tel progrès.
 »
Pierre Mendès France

La gauche a été au pouvoir 15 ans sur les 25 derrières années.
A-t-elle favorisé l’accouchement d’une nouvelle société ?
A-t-elle au moins essayé de le faire ?

« Non seulement la gauche n’a pas lutté contre l’individualisme, mais elle l’a parfois encouragé » Tels furent les premiers mots du porte-parole des militants en ouverture des Etats généraux des socialistes à Lyon en juillet 1993. Entre 1997 et 2002, avons-nous agi en tirant les leçons de l’échec de 1993 ? Avons nous essayé de faire reculer l’individualisme ?

Quelle est notre ambition ? Face à la crise sociale qui finira par disloquer notre société, quel est notre niveau d’ambition ? Limiter la casse ou inventer du neuf ? « Changer le pansement ou penser le changement ? » Quand nous sommes dans l’opposition, nous ne cessons de dénoncer la politique de précarité de la droite. A juste titre. Mais quand nous étions au pouvoir, avons nous fait le maximum pour lutter contre la précarité ?

Le 21 avril 2002, combien nous a coûté la précarité et le chômage ? Nous ne cessions de répéter que le chômage avait reculé de 1 million, mais, sur le terrain, dans chacune de nos circonscriptions, personne ne sentait une telle euphorie. Et si l’on regardait de plus près les chiffres du chômage, si l’on intégrait les plus de 55 ans dispensés de recherche d’emplois, si l’on intégrait les chômeurs acceptant des CDD et de l’intérim, placés dans des catégories non-médiatisées (catégories 2, 3, 4, 5, 7 et 8 de l’ANPE), il restait toujours plus de 3 800 000 chômeurs et combien de précaires ? Pendant la campagne de 2002, nous n’avons mis en avant les 35 heures comme une grande réussite, alors que beaucoup de salariés (aussi bien à l’hôpital que dans nombre d’entreprises privées) voyaient les choses un peu autrement...

Sur les 35 heures d’ailleurs, avait-on écouté vraiment les militants ? Tous les militants étaient d’accord avec la direction prise. Mais sur les modalités ? Quand la deuxième loi a été en préparation, nombreux ont été ceux qui ont demandé à ce qu’il y ait moins de flexibilité, moins d’heures sup, et que les aides financières soient conditionnées à de vraies créations d’emplois… A La Rochelle, l’atelier de l’université d’été consacré aux 35 heures en août 1999 s’est terminé sous les sifflets des militants quand le rapporteur du projet de loi a fait comprendre aux militants qu’on n’accepterait aucune de leurs propositions d’amélioration :
    « On sera toujours très à gauche pour le Medef », a plaidé Gaetan Gorce, s'attirant immédiatement une réponse acide de la salle : « Si c'est ça notre référence... »
    Le Monde 31 août 1999
Pourquoi Ariane, Airbus ou le TGV sont-ils les meilleurs dans leurs domaines ?
Est-ce parce qu’ils n’ont jamais connu d’échec ? Non, évidemment. Ils ont connu des échecs. Parfois des échecs terribles. Mais ils ont su analyser ces échecs pour en comprendre toutes les causes. Ils se sont penchés sur leurs échecs sans aucun tabou.

Allons nous, nous aussi, ouvrir enfin les yeux ?

Combien faudra-t-il de 21 avril 2002 et de 29 mai 2005 pour que nous, socialistes, ouvrions enfin les yeux ? Quand prendrons-nous un moment pour réfléchir aux politiques menées depuis 1981 ? Les électeurs ne pourraient qu’apprécier un langage de vérité venant de notre part. Et, en analysant nos échecs, nous pourrions déterminer les facteurs de succès pour gagner en 2007 et pour réussir vraiment entre 2007 et 2012.

En matière scolaire, les derniers bilans faits en 6ème montrent que, en vingt ans, les inégalités ont augmenté : l’écart entre les 10 % d’enfants qui réussissent le mieux et les 10 % qui ont les plus grandes difficultés n’a jamais été aussi important. Pour nous socialistes, la question de l’éducation est pourtant fondamentale. Qu’avons-nous fait pour lutter contre les inégalités scolaires ? Le Danemark ou la Finlande ont un taux d’échec scolaire 4 fois plus faible que le nôtre. Sommes-nous allés voir dans ces pays ce qui est fait pour s’attaquer réellement au problème ? Malgré la loi d'orientation de 1989, ce qui a été tenté ne peut nous satisfaire. Nous n'avons pas réussi à faire diminuer le nombre de jeunes sortant sans qualification et sans diplôme. Nous avons plus que jamais besoin de nous attaquer à l'échec scolaire.

Et quelle ambition avons-nous pour former des citoyens ? Quel débat sur le contenu de l’éducation comme sur celui des programmes des télévisions (publiques et privées) ?

En matière de politique du logement, qu’avons nous fait ? Quand nous avons supprimé la vignette auto, ce fut un manque à gagner de 20 milliards de francs par an. La même année, nous n’avons investi que 2 milliards sur la construction de logement social… Quelles sont nos priorités ? Quels moyens nous donnons-nous pour tenir nos engagements quand nous arrivons au pouvoir ?

L’élaboration du projet aurait dû, normalement fournir l’occasion de cet examen critique des politiques menées par la gauche au pouvoir. L’occasion aussi d’aller voir dans tel ou tel pays, ce qui se fait de mieux en matière sociale.

Pourquoi avoir d’abord annoncé que le projet allait être élaboré de façon très ouverte pour finalement en confier la rédaction à 3 anciens ministres ? Quelles que soient leurs compétences, sont-ils les mieux placés pour faire l’analyse critique des politiques menées quand ils étaient en poste ? Sont-ils les mieux à même d’écouter tout ce qui s’invente chez les militants, dans les associations, dans les écoles, dans les entreprises d’insertion...

La leçon du 29 mai 2005

Quelle Europe construit-on, quelle Europe entend-on construire ?Au terme d’un débat passionné, 55 % des Français ont refusé le traité constitutionnel. « C’est la faute à Chirac » disent certains. « C’est la faute des socialistes qui ne sont pas restés dans la ligne du Parti. », « C’est la faute aux Français qui se sont trompés d’élection ! »…

Peut-être, mais quand même : pourquoi les Français en sont-ils réduits à l’émeute électorale pour se faire entendre des élites pensantes et gouvernantes ? N’est-il pas temps de se pencher sérieusement sur le blocage chaque jour un peu plus complet de nos institutions politiques ? Et de se pencher sérieusement, c’est-à-dire en ne se contentant pas d’inventer de nouveaux gadgets « participatifs » alors qu’il s’agit, fondamentalement, de restaurer la démocratie représentative dans notre pays.

N'est-il pas temps de réaliser que notre République est de plus en plus oligarchique et que, comme dans toutes les oligarchies, l'émeute est la seule possibilité de se manifester pour ceux qui n'appartiennent pas à l'oligarchie ?

Gagner la bataille des idées pour gagner la bataille politique durablement

S’il est parfaitement possible de gagner quelques batailles électorales en capitalisant les mécontentements, on ne peut le faire durablement et l’on épuise progressivement son capital de crédibilité. Pour rester le parti de gouvernement dont la Gauche et le pays ont besoin, le PS doit gagner la bataille des idées car c’est d’abord là que se gagnent les batailles politiques.

Héritière des Lumières, du marxisme, des combats républicains et laïcs, du christianisme social, du mouvement ouvrier et de la Résistance, la Gauche a d’abord été majoritaire dans les esprits avant d’accéder au pouvoir. A l’usage du pouvoir le PS a épuisé sont capital d’idées. D’initiateur de politique, il se contente de plus en plus de réagir aux évènements. Faute de renouvellement et d’approfondissement intellectuel, ses idées ont été pulvérisées, sous le choc du réel et de l’offensive des libéraux. Le débat sur le projet doit fournir au PS la boussole doctrinale, fondatrice d’identité, faute de laquelle le pragmatisme devient opportunisme.

Notre objectif ne doit pas être d’élaborer le catalogue de toutes les réponses à tous les problèmes
(tâche aussi impossible qu’inutile) mais de clarifier la grille de lecture qui servira à lire le monde et de dire quel est notre niveau d’ambition. Les réponses en découleront quasi d’elles-mêmes si nous avons le courage d’aller au fond des débats.

Quelle est notre ambition ?

Changer le pansement ou penser le changement ? Limiter la casse ou mettre la société en mouvement ?

Si notre objectif est seulement de limiter la casse, un projet rédigé en quelques semaines par quelques experts peut faire l’affaire. Mais si notre objectif est de mettre la société en mouvement (parce que, face à l’urgence sociale, les demi mesures ne serviront de rien), alors la méthode d’élaboration du projet doit être innovante.

En Belgique, le PS a pris 18 mois pour élaborer son projet.
Socialistes, écolos, syndicalistes, enseignants et parents d’élèves, médecins, infirmières et malades, paysans, chefs d’entreprises et chômeurs… des dizaines de milliers de citoyens ont participé pendant 18 mois aux Ateliers du progrès
lancés par Elio di Rupo et nos amis socialistes wallons. Le projet du PS belge n’est pas celui de quelques experts, ni même des seuls militants socialistes mais le projet de l’immense foule de tous ceux qui aspirent à plus de justice sociale.

Pourquoi ne pas nous inspirer de ce qui s’est fait dans ces Ateliers du progrès ?
Pourquoi vouloir boucler le projet pour avril 2006 (c’est le calendrier annoncé au Conseil national du 9 juillet) ? Vue l’énormité de la tâche, ne faut-il pas prendre un an pour construire notre projet, avec tous ceux qui le veulent ?

Une fois achevé le Congrès du Mans, prenons quelques mois pour définir un nouveau contrat social (travail, salaires, formation, retraites..) avec tous ceux et celles qui s’intéressent à ces questions. Et attaquons nous ensuite, à toutes les autres grandes questions.

N’ayons pas peur d’ouvrir grands les portes et les fenêtres.
N’ayons pas peur de partager nos questions et nos idées avec tous ceux qui n’ont pas pris leur carte mais qui partagent nos valeurs, nos doutes et nos espoirs.

Etre 100 000 ou 200 000 à construire ensemble un nouveau projet de société,
être 100 000 ou 200 000 à faire campagne en 2007 face à la démagogie de la droite, être 100 000 ou 200 000 à ensuite à se sentir co-responsables de la réussite du projet,
c'est sans doute la meilleure façon de mettre notre pays en mouvement,
c'est sans doute le meilleur moyen d’être à la hauteur de l’urgence sociale.




1 Que tous ceux qui comptent sur la baisse de la démographie pour faire reculer le chômage réfléchissent bien à ce point : l'allongement de deux années de la durée de cotisation va faire rester sur le marché du travail quelques 1 400 000 personnes...

2 Source : Réserve fédérale 10/03/2005

3 Produit Intérieur Brut

4 En France, la santé représente quelques 10 % du PIB. Les États-Unis consacrent à la santé 14 % d'un PIB qui est 140 % du notre. 14 % x 140 = 19,6. Quand nous consacrons 10 unités de PIB français à la santé, les Américains y consacrent 19,6 unités (pour une espérance de vie plus courte).

5 Chiffres Center for Disease Control and Prevention 2004. En France, le taux d'obésité était de 11,3 % en 2003 soit un peu moins de la moitié des chiffres américains. Mais la maladie progresse : ce taux était de 8 % « seulement » en 1996.

6 Le coût de l'obésité est estimé à 117 mds de dollars par an (Source J.M. Le Guen) dont 70 mds de dollars de coût direct (hospitalisation, médicaments...)

7 Ceux qui n'ont de cesse de mettre en avant le modèle américain sont aussi ceux qui affirment qu'il faut évidemment diminuer nos dépenses de santé... Cela mériterait un débat.


Signataires :

 Pierre LARROUTUROU membre de la commission nationale du projet  Colette GROS  Pierre-Yves COLLOMBAT sénateur du Var  Christiane CAUSSE membre de la commission nationale des Conflits  Laurent CHAFFARD  Anne-Juliette TILLAY membre du bureau de la CNE  Philippe ROSAIRE  Esther MUNOZ  Georges MARTEL membre de la commission nationale des Conflits  Christian VELY  Elisabeth CARTERON  Franco BALESTRAZZI  Claude DAUBAS  Claudine RACHOU  Axel URGIN membre du Conseil national  Christine SIMON Paul AGIUS  Jérôme GAGEY  Philippe NEVES  Francis LOZE  Luc CONSTANT  Geneviève BOURRELY  Jean ESTAGER  Roland RIBES  Christian BAIZET  Frédéric TRICOT  Paul ARRIGHI  Jean Pierre MARC-VERGNES  Michel ROUSSEAU  Franck PICHOT  Jacques LAMOTHE  Christian BONNEAU  Xavier BOUZIAT  Thierry NOISETTE  Cyril BECUWE  Gilbert SOULET  Anne de MOERLOOZE

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